L'avènement des engins autonomes sur les chantiers et leurs implications juridiques

10 mai 2024
Par Benoit Poirier

Les équipements autonomes, notamment la machinerie, ne sont pas légion sur les chantiers. Pas encore. Leur arrivée prochaine, toutefois, fait miroiter moultes avantages. Mais qu'en est-il et qu'en sera-t-il sur le plan légal ?

Pendant que le genre humain devient de plus en plus dépendant de l'intelligence artificielle, celle-ci s'affranchit, paradoxalement, de son géniteur. Cette nouvelle ère suscite questions et enthousiasme. Dans le secteur de la construction, on voit poindre des solutions aux problèmes de pénurie de main-d'oeuvre, de travaux devant être exécutés sur des structures fragilisées ou dans des endroits contaminés, à l'amiante ou au plomb, par exemple.

 

« On parle aussi d'une augmentation en efficacité, d'une diminution du risque d'erreur d'exécution. Ça entre dans le mouvement de modernisation de l'industrie de la construction. Au Québec ça reste quelque chose d'assez inhabituel ou exceptionnel », commente Tania L. Pinheiro, avocate spécialisée en droit de la construction au bureau de Montréal de Miller Thomson.

 

N'empêche, bien que ces avancées technologiques soient emballantes et bénéfiques pour l'industrie, il importe de s'assurer que l'excitation qui en découle ne prendra pas le pas sur la vigilance, souligne-t-elle. « Les normes réglementaires contractuelles doivent être respectées. C'est très important ! Mais pour qu'elles le soient, il faut d'abord savoir quelles sont ces normes-là. Alors, je pense que cela passe par la connaissance et la prévention. »

 

Une pléthore d'enjeux

Nous pouvons sans aucun doute nous attendre à ce que l'entrée en scène d'équipement et de machinerie autonomes suscite à terme l'instauration de réglementations particulières. « La loi cherche à suivre les avancées technologiques. Il y a déjà certains règlements qui trouveraient application à l'égard de la machinerie autonome. Il y a déjà de la réglementation qui est en effervescence, mais on n'a rien encore de très pointu sur la question. Cela soulève une pléthore d'enjeux, comme le code de la sécurité pour les travaux de construction et le code de la sécurité routière », indique Tania L. Pinheiro.

 

Tania L. Pinheiro, avocate spécialisée en droit de la construction au bureau de Montréal de Miller Thomson. Crédit : Miller Thomson

 

Viennent également en tête les exigences visant les véhicules, les grues et autres appareils utilisés sur des chantiers de construction, qui doivent être en bon état et utilisés conformément aux prescriptions du fabricant. Transposées à de la machinerie autonome, on peut croire que ces obligations s'étendraient notamment à des mises à jour logicielles, expose l'avocate. « Alors, sur le plan légal, cela peut être intéressant pour les entrepreneurs de venir prévoir des clauses particulières dans leurs contrats pour essayer de pallier les risques inhérents à l'utilisation d'une nouvelle technologie. »

 

Autre enjeu de taille, soulève Tania L. Pinheiro, celui du respect d'un échéancier dans le cas d'une panne. Une situation susceptible d'entraîner de lourdes conséquences, les contrats types présentement utilisés dans l'industrie de la construction ne comprenant pas de clauses standards liées à l'utilisation de machinerie autonome. « Alors, il va falloir adapter les contrats, essayer de les négocier pour faire en sorte que les délais qui seraient causés par ce type de mauvais fonctionnement soient excusables. Donc de permettre la prolongation d'un échéancier, dans la mesure où l'entrepreneur démontre qu'il n'a commis aucune faute concernant l'entretien, la mise à jour du logiciel ou l'utilisation de la machinerie. »

 

Recours à un service-conseil

Difficile de suivre la cadence d'une industrie qui tente, au fur et à mesure, de s'ajuster aux avancées débridées de la technologie. Particulièrement du point de vue juridique. Le recours aux services d'une firme spécialisée peut s'avérer judicieux. À quel moment? « Je pense que le plus tôt possible est le mieux, parce que les besoins légaux sont présents dès le début d'un processus d'achat. Il faut garder en tête que le Code civil du Québec prévoit que l'entrepreneur a le libre choix des moyens d'exécution de son contrat. Cela inclut donc le choix d'utiliser de la machinerie autonome.

 

Cela dit, puisque ces avancées demeurent émergentes, certains donneurs d'ouvrage pourraient être réfractaires à cette idée. Alors, je vous dirais que tant au niveau de l'achat que lors de la négociation d'un contrat sur lequel on va utiliser de la machinerie autonome, les services d'un avocat peuvent être très précieux. »

 

SE PRÉMUNIR CONTRE UNE CYBERATTAQUE

S'ajoute à la gamme de risques liés à l'utilisation d'équipement et de machinerie autonomes, celui de la cybersécurité susceptible, on le divine, d'entraîner dans sa course des retards coûteux, voire des dangers pour les travailleurs. Bien qu'une cyberattaque soit un risque parmi tant d'autres, tempère Tania L. Pinheiro, un entrepreneur pourrait en être victime même s'il a pris toutes les mesures nécessaires pour que sa machinerie soit à jour et protégée.

« Les entrepreneurs qui utilisent la machinerie autonome auraient donc intérêt à négocier des clauses de force majeure ou d'exonération qui sont plus avantageuses que ce que prévoit présentement le Code civil. Ceci afin d'y inclure explicitement des incidents qui pourraient entraîner la paralysie de leurs opérations en raison de causes qui ne s’expliquent pas par une faute ou de la négligence. Surtout dans une situation où la machinerie n'appartiendrait pas nécessairement à l'entreprise qui l'exploite sur le chantier, par exemple dans le cas d'une location. »

 


Cet article est paru dans l’édition du 18 avril 2024 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !