Les risques psychosociaux n’échappent pas à l’industrie de la construction. Que l’on soit dans un bureau ou sur un chantier, ils sont même plutôt semblables.
Les risques psychosociaux du travail, communément surnommés RPT par les psychologues organisationnels, se déclinent en quatre grands facteurs : l’organisation du travail, les pratiques de gestion, les conditions d’emploi et les relations sociales. Ils concernent tout ce qui augmente la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des employés.
Pour Jacques Forest, professeur et chercheur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), également psychologue et conseiller en ressources humaines agréé, qui utilise le modèle JDR (Job/Demand/ Resource, ou Défis/Obstacles/Ressources en français), les risques psychosociaux du travail sont toutes les demandes de type « obstacles ». « C’est tout ce qui gruge notre énergie physique, psychologique ou émotionnelle, comme une surcharge de travail, un patron contrôlant, des collègues toxiques, n’importe quel élément qui vient excessivement saper notre moral », explique Jacques Forest.
Ils ont un impact non seulement sur l’employé, mais aussi sur l’équipe et même l’organisation. « Les impacts sont majeurs des deux côtés », note Julie Carignan, psychologue organisationnelle et CRHA ainsi qu’associée au sein de la firme Humance. « Pour l’employé, on parle de sa santé physique et psychologique. Pour l’organisation, on parle d’absentéisme et [de difficulté] de rétention et d’attraction de talents. » En effet, si un employé se bute à une situation de harcèlement au travail, par exemple, il vit d’abord de l’anxiété, une détresse puis une démotivation face à ses tâches, qui peuvent ensuite découler en insomnie et en perte d’appétit. Il ne recommandera pas non plus son milieu de travail à d’autres, ce qui peut causer, par ricochet, une difficulté d’embauche pour l’organisation.
Prévenir, prévenir et prévenir
Pour les psychologues rencontrés, la solution est claire comme de l’eau de rochenbsp; il faut prévenir plutôt que guérir. On dénote trois principaux types de prévention : primaire, secondaire et tertiaire. « La prévention primaire, ce sont les actions positionnées en amont des situations. Elle touche le volet organisation du travail, les processus, les rôles, la façon de prendre des décisions », commence Julie Carignan. Par exemple, il pourrait s’agir de clarifier les rôles et responsabilités lors de la conception même des postes, ce qui assurerait la prévention de tensions, de conflits ou d’iniquités potentiels.
« Pour la prévention secondaire, c’est réduire l’impact sur la santé des individus pour les aider à mieux gérer une situation à risque quand elle survient », poursuit la psychologue. Si on prend à nouveau l’exemple du harcèlement, il peut s’agir pour l’entreprise d’offrir des ateliers, des formations ou des guides sur le sujet ou encore de prévoir une personne ressource à qui se référer pour ces plaintes particulières.
« En ce qui concerne la prévention tertiaire, le risque psychosocial s’est matérialisé. On souhaite donc voir une prise en charge de la situation pour en limiter les conséquences sur les personnes concernées », continue Julie Carignan. Par exemple, une personne en détresse pourrait avoir accès à un programme d’aide aux employés qui comporte des rencontres avec des thérapeutes. L’embauche d’une firme spécialisée en gestion de conflit s’intègre aussi à la prévention tertiaire. « Trop souvent, malheureusement, on est appelés en prévention tertiaire, alors qu’on préférerait outiller les gens pour ne pas se rendre aux conflits ou aux enjeux de climat », conclut l’associée chez Humance, une firme spécialisée dans les leviers humains et qui travaille à créer des milieux de travail sain pour les employés.
Intervenir
Jacques Forest en revient au modèle JDR. Il note qu’il ne faut pas seulement s’attarder au négatif, propre de l’être humain, mais aussi au positif : « Les risques psychosociaux, c’est d’assumer qu’il y a juste ce qui va mal dont il faut s’occuper. C’est une erreur largement répandue. Si vous réduisez les risques psychosociaux, ça ne veut pas dire que vous augmentez ce qui va bien. » Une façon d’intervenir, pour une organisation, serait donc de non seulement amoindrir les obstacles, mais d’augmenter les défis des employés et de leur fournir plus de ressources. « Ce qui est étonnant, c’est que les demandes de type « défis » sont énergisantes. Ce n’est pas vrai qu’un emploi heureux en est un tranquille et plate, c’est plutôt un emploi où on va avoir des défis psychologiques, émotionnels ou physiques. Ils peuvent être drainants, fatigants, mais aussi, simultanément, donner de l’énergie. Et les ressources, elles, ce sont les éléments qui viennent contrer les effets négatifs des risques psychosociaux », souligne le professeur, chercheur et psychologue.
Julie Carignan remarque aussi que l’intervention passe par la conscientisation. En effet, certains gestionnaires croient à tort que le bien-être des employés passe seulement par les ressources humaines. « Quand tu gères, tu gères des gens, pas juste des tableaux de bord et des résultats. Il doit y avoir une conscientisation de la responsabilité partagée sur le plan des risques psychosociaux entre l’organisation, l’équipe de gestion et l’ensemble du personnel. » Organisation, équipe et employés gagnent donc tous à prévenir, plutôt que guérir, les risques psychosociaux du travail.
On pourrait être porté à croire que la situation diffère selon que l’on se trouve dans un bureau ou sur un chantier de construction, et pourtant ! « Quand vous avez en tête que les défis, les obstacles et les ressources peuvent être psychologiques, émotionnels ou physiques, c’est clair que pour un travailleur de la construction qui manipule des scies, le côté physique sera plus saillant. Mais les paramètres qui auront un impact sur lui restent les mêmes, ils seront seulement présents dans des proportions différentes dans un emploi de chantier versus un emploi de bureau », mentionne Jacques Forest. Julie Carignan ajoute : « Il s’agit d’avoir des yeux, des oreilles et surtout des coeurs partout. Cela aidera le gestionnaire à prendre le pouls de ce qui se passe au bureau et sur le terrain, pour cibler les actions et les initiatives qui auraient le plus d’impacts sur la prévention des risques psychosociaux. »
Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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