Les leçons de la COVID-19 sur l'industrie de la construction, un an plus tard

5 avril 2021
Par Ruby Pratka

Le premier ministre François Legault décrète, le 23 mars 2020, la fermeture de tous les chantiers non essentiels du Québec. Trois semaines s’écouleront avant la reprise des activités, le 11 mai suivant. Mais les répercussions - et les apprentissages - de la pandémie pour le secteur de la construction vont bien au-delà de cette interruption.

Geoffroy Bertrand est ingénieur et conseiller principal chez FTI Consulting. Pour lui, l’impact de la pandémie s’est fait sentir bien avant l’arrêt des chantiers, surtout pour les chaines d’approvisionnement. Dès le mois de mars, plusieurs retards de livraison sur certains composants fabriqués en Asie ont été observés, comme les ascenseurs.

 

Le consultant rappelle le vent de panique ayant soufflé durant les jours séparant la déclaration d’état d’urgence au Québec, faite le 13 mars, et la fermeture des chantiers. Certains fournisseurs tentaient alors, au cours de cette courte période, de faire modifier des contrats types par crainte de ne pas pouvoir livrer la marchandise commandée. On note au même moment le retrait préventif de groupes de travailleurs.

 

S’est ensuivie la suspension des chantiers non essentiels. La « nouvelle normalité » s’installe sur des chantiers complètement réaménagés et des restrictions frontalières font leur apparition, certaines perdurant à ce jour.

 

Branle-bas de combat

Tous les projets sont affectés, petits comme gros. Le chantier du Réseau express métropolitain (REM), un des plus importants au Québec, n’y fait pas exception. « Au printemps, moment de l’année où on repart normalement la machine, tous les chantiers étaient suspendus », se rappelle Jean-Vincent Lacroix, porte-parole de CDPQ Infra, une filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

 

Geoffroy Bertrand, ingénieur et conseiller principal chez FTI Consulting. Photo :  Gracieuseté

 

Pour le REM, la pandémie a causé des impacts majeurs sur la mobilité de la main-d’oeuvre et l’arrivée des équipements spécialisés. Il fallait également fournir des stations de lavage des mains, du désinfectant et des masques aux travailleurs. Les impacts sur le budget et l’échéancier final du mégaprojet restent à déterminer, mais une analyse liée à la COVID-19 réalisée dans les derniers mois de 2020 a permis d’établir qu’un ralentissement global de la progression de tous les chantiers du REM avait été observé pour une période d’environ trois à six mois.

 

Geoffroy Bertrand cite plusieurs études américaines qui indiquent une perte de productivité d’entre 9 et 35 % au début de la pandémie. Il observe que les projets « horizontaux », où les chantiers s’étalent sur de grands espaces extérieurs, ont été moins touchés que les projets « verticaux », où les équipes travaillent dans des espaces plus restreints. « Si j’avais prévu de faire monter mes employés à 20 dans un ascenseur, et que je suis maintenant obligé de les faire monter à quatre, ça occasionne un ralentissement », explique-t-il.

 

S’adapter pour avancer

Le fardeau des répercussions de la pandémie est tombé lourdement sur les entrepreneurs. La CNESST, ayant déterminé que les employeurs et les maitres d’oeuvre en construction sont responsables pour la sécurité des travailleurs dans le contexte pandémique, a exigé l’adoption de plusieurs mesures. L’état de santé des travailleurs doit donc désormais être contrôlé à leur arrivée, la distanciation physique de deux mètres doit être respectée, la capacité des véhicules est réduite de moitié, les outils sont systématiquement désinfectés et des stations pour le lavage des mains doivent être mises à la disposition des travailleurs.

 

Les grands donneurs d’ouvrage publics ont également dû composer avec cette situation hors norme. La Société québécoise des infrastructures, par exemple, a incité les entreprises en mesure de poursuivre l’exécution de leur mandat, notamment les activités liées à la planification et à la conception des projets et au regard des activités hors chantier, à le faire à distance ou par tout autre moyen technologique à leur disposition.

 

Le ministère des Transports du Québec, quant à lui, s’est engagé à couvrir les frais des mesures additionnelles de protection sanitaire non prévues au moment de la signature du contrat. S’ajoutait à cet engagement celui de s’entendre avec les entrepreneurs afin de fixer de nouveaux délais dans l’éventualité d’une fermeture obligatoire des chantiers, d’un manque de main-d’oeuvre, de difficultés d’approvisionnement ou de délais de mise en oeuvre des mesures sanitaires retardant la progression d’un chantier.

 

Un besoin de communiquer

Geoffroy Bertrand croit qu’une approche collaborative entre le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur est la clé pour limiter les impacts de la pandémie et des futures crises majeures. « C’est la première chose qu’on a suggérée à nos clients. On a proposé d’implanter un journal de bord, un protocole entre le propriétaire et l’entrepreneur, pour tenter de signaler les impacts ainsi que leur cout et afin de notifier le donneur d’ouvrage en temps opportun. Dès qu’un impact survient, il faut avertir le donneur d’ouvrage pour que l’entrepreneur puisse conserver ses droits contractuels. »

 

Le consultant suggère aussi que l’entrepreneur crée un code de facturation spécifique aux dépenses liées à la COVID-19. Cette mesure permettrait ainsi de documenter et de communiquer les dépenses au donneur d’ouvrage systématiquement au cours du projet, réduisant par le fait même la probabilité d’une dispute susceptible de se conclure en cour.

 

Le maintien d’un tel canal de communication demeure la responsabilité de toutes les parties impliquées, souligne-t-il, peu importent les circonstances. « Ça révèle l’importance d’une communication proactive entre l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage, conclut Geoffroy Bertrand. L’approche collaborative est fondamentale. »