L’histoire de la construction de l’usine Alcan d’Arvida est indissociable de celle de la ville d’Arvida. En effet, un défi majeur à relever au moment de la planification de la construction de l’usine d'aluminium fut la réalisation de la ville d'Arvida.
Puis la construction des centrales hydroélectriques alimentant l'usine, Chute-à-Caron (1931) et Shipshaw (1942), prévues dès 1925 dans un plan d'ensemble des aménagements hydroélectriques. Les solutions à ces défis ont laissé leur marque sur les manières de construire subséquentes au Québec.
Un chantier majeur s'installe
De 1925 à 1928, le chantier passe par le choix du lieu, les offres d'achat aux propriétaires des terres, les travaux d'arpentage (fin juillet 1925), l'ajout d'un embranchement ferroviaire pour relier le chantier à la voie du Canadien National, le sondage du terrain pour s'assurer qu'il supportera les usines, le traçage des plans et l'installation de camps et bureaux temporaires, d'ateliers et entrepôts près de la voie ferrée.
« La construction des quatre salles de cuves de l'aluminerie commence en septembre 1925. Au cours de l'automne, on travaille à la construction des salles de cuves, de l'usine d'anodes de carbone ainsi que de nombreuses autres structures de bâtiments auxiliaires », ajoute José E. Igartua, professeur associé au département d'histoire de l'UQÀM, dans son livre Arvida au Saguenay. Au total, 34 bâtiments d'usine seront mis en chantier, incluant aussi une usine de production d'alumine par procédé à sec.
Alcoa étant son propre maître d'œuvre, quelques entreprises spécialisées en coulage du béton ou en mise en place de structures métalliques profiteront de rares contrats de sous-traitance accordés. Et les travaux se poursuivant pendant l'hiver malgré des températures de -42°C, ils impliqueront parfois le dynamitage du sol gelé pour faire les excavations et y couler le béton, écrivait José E. Igartua.
Acquisition d'une expertise béton
Premier héritage d’Alcan, Lucie K. Morisset, historienne de l'architecture et aussi professeure à l'UQÀM, dit que « la modernité saguenéenne et jeannoise dans son expressionnisme formel de béton (les grandes églises, par exemple), qui sera diffusée à l'ensemble du Québec, n'aurait jamais vu le jour sans le bouillonnement technique et constructif d'Arvida ». Plus que former des architectes, il a permis de s'initier au maniement du béton.
À son avis, la construction des infrastructures industrielles d'Arvida (comme les fondations de béton des salles de cuves) a contribué au développement de l'expertise locale, puis québécoise, en fondations de béton. « Ce qui n'aurait pas été le cas sans ces grandes usines ». Sans compter que toutes les maisons et édifices de la cité voisine avaient été dotées de fondations de béton, ce qui « singularise » Arvida.
Selon José E. Igartua cependant, « l'aspect le plus inusité de la construction de l'usine et de la ville pour la population locale fut sans doute la mise en place de voies ferrées temporaires pour amener machinerie et matériaux sur les divers emplacements ». « C'est ce qui a fait dire aux chroniqueurs de l'époque qu'à Arvida on assemble des maisons comme Ford assemble des automobiles », ajoute Lucie K. Morisset.
Ville industrielle et logement ouvrier
Alcoa (devenue Alcan en 1928) s'était occupée de planifier et de construire cette ville nommée avec les initiales de son président Arthur Vining Davis. Les premières maisons ont été érigées à l'été 1926 et leur construction a fourni de l’emploi à 1 800 travailleurs, selon José E. Igartua, dans l'article Les origines des travailleurs de l'Alcan au Saguenay, 1925-1939.
De son côté, Lucie K. Morisset rappelle que la construction de la ville et des habitations des travailleurs s'était heurtée au même obstacle ayant provoqué auparavant l'échec « de l'immense majorité des projets de logement ouvrier ».
Soit le défi économique et technique de construire des maisons abordables pour toutes les catégories de travailleurs (cadres, employés qualifiés, ouvriers non spécialisés), mais assez appropriées pour assurer stabilité de la population et fidélité ouvrière « dans un contexte d'épanouissement social et identitaire ».
Selon M. Igartua, un tiers des premiers travailleurs de l'Alcan étaient immigrants. On y trouvait bien sûr des Canadiens français et anglais et des Américains, mais aussi des Finlandais, Tchécoslovaques, Yougoslaves, Britanniques, Français, Danois, Italiens, Suédois, Hollandais, Norvégiens, Espagnols, Suisses, Autrichiens, Bulgares, Hongrois, Lithuaniens, Polonais, Roumains, Russes, Ukrainiens et un Syrien.
Bref, « il fallait construire le plus vite possible des maisons les plus différentes possibles les unes des autres, les plus reconnaissables par les travailleurs selon leurs origines culturelles, et les plus durables », mentionne Lucie K. Morisset qui ajoute que cette ville construite en 135 jours est le « véritable exploit » d'Arvida.
Des maisons Ford-Ikea...
Solution bien québécoise au défi : le bois. La construction en bois permettait la diversification du paysage et « un degré de détail typique de la construction en charpente pratiquée en Amérique du Nord, par opposition à la tradition maçonnerie/béton de la France et d'une part de l'Europe continentale ».
Elle ajoute que ce choix a permis de « découper une maison en composantes architecturales (cadres de fenêtres, corniches, balustrades, etc.) et de les permuter pour décupler le nombre de modèles ». Il a aussi permis « de systématiser la construction avec le prédécoupage des composantes architecturales ».
Mieux encore, les composantes étaient « soigneusement identifiées ». Par exemple, « un modèle A1 demandait des fenêtres O, des portes T, et ainsi de suite ». Elles étaient distribuées sur chaque site de maison grâce à des rails placés dans les rues et elles étaient assemblées avec un simple marteau et des clous sur des fondations de béton (expertise venant de la construction des infrastructures industrielles).
Résultat : 270 maisons d'une trentaine de modèles différents pour tous, « sans différenciation extérieure de la classe sociale ». Elle précise que les meilleurs exemples de villes ouvrières de l'époque, ailleurs, ne comptaient « que quatre, cinq ou six modèles, en plus d'être souvent réservées à des employés supérieurs ». De 1925 à 1950, la compagnie construira « plus de 2 000 maisons, selon une soixantaine de modèles différents ».
À son avis, « l'habitat tel qu'il a été mis en œuvre à Arvida préfigure la banlieue nord-américaine et le mode d'occupation du territoire encore typique du Québec ». C'est-à-dire, « en abolissant la mitoyenneté par un paysage fait de maisons pavillonnaires plantées dans un grand jardin sans clôture ou autre disposition mitoyenne. Arvida annonce la façon dont les Québécois s'imaginent la maison ».
Amener l'eau qui fait tourner le moulin
Lucie K. Morisset ajoute que Chute-à-Caron « a demandé la conception d'une obélisque de pierre de 10 tonnes et son basculement par dynamitage dans la rivière, pour en dériver le cours à un coût optimal ». Et Shipshaw a été construite en 18 mois de jour comme de nuit. Selon elle, sur le plan des matériaux et techniques, il est aussi « probable » que l'expertise hydroélectrique du Québec en doive une à Arvida.
Génie (ingénierie des bâtiments, organisation du chantier de l'usine) : services d'ingénierie Alcoa, Frank Cothran et Harold R. Wake (ingénieur responsable de la planification et de la construction de la ville, aussi d'Alcoa)
Architecture (architectes des édifices et maisons de la ville) : Ernest Isbel Barrott, Harold L. Fetherstonhaugh, Léonce Desgagné, Alexander T. G. Durnford, Henry Wiggs (Alcoa)