Grand producteur d’aluminium, le Québec entend faire plus de place à ce matériau d’avenir dans la fabrication et la réfection de ponts et de passerelles.
En Europe et aux États-Unis, l’utilisation de l’aluminium dans les ponts et passerelles ne date pas d’hier. Déjà en 2013, une étude financée par l’Associationde l’aluminium du Canada (AAC) répertoriait, de part et d’autre de l’Atlantique, pas moins de 16 ponts construits entre 1933 et 1978 avec des éléments d’aluminium. Le Québec, un des plus grands producteurs d’aluminium au monde, transforme pourtant peu ce métal de plus en plus convoité pour la construction d’infrastructures. Un état de fait appelé à évoluer d’ici 2025, grâce à la Stratégie québécoise de développement del’aluminium (SQDA).
Adoptée en 2015, la SQDA met, en effet, de l’avant diverses mesures, afin de favoriser le développement de la chaîne de valeur de l’aluminium, entre autres en exploitant les marchés publics comme levier. À cet effet, elle dispose d’un budget de 32,5 millions de dollars pour les trois premières années de sa mise en oeuvre, dont 4,6 millions devant permettre au ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTMDET) d’enrichir ses connaissances sur l’aluminium, notamment au moyen de projets de démonstration selon l’approche du bon matériau, au bon endroit et pour les bons usages.
« Au Québec, on utilise déjà l’aluminium pour fabriquer des glissières et des lampadaires, rappelle Jacques Internoscia, directeur des programmes stratégiques pour l’AAC. On veut maintenant étendre son usage à la fabrication de poutres et de platelages pour les ponts et passerelles. L’aluminium ne peut pas tout faire, mais il a sa place dans le mix de matériaux. Comme un platelage d’aluminium représente environ 25 % du poids d’une dalle de béton, on pourrait réhabiliter un pont et en profiter pour en élargir le tablier afin d’y inclure une voie multifonctionnelle, par exemple. »
Un matériau durable
Parmi les autres avantages de l’aluminium, Jacques Internoscia pointe bien sûr sa résistance à la corrosion, qui en fait un matériau de choix, notamment dans un environnement hautement corrosif comme les ports et les industries lourdes, mais aussi ses qualités environnementales. Le matériau peut en effet être recyclé à l’infini, sans perte de propriétés, et cette opération ne consomme que 5 % de l’énergie initialement nécessaire à sa production.
De plus, l’aluminium produit au Québec figure parmi ceux ayant la plus faible empreinte carbone au monde. Selon une étude du Centre international de référencesur le cycle de vie des produits, procédéset services (CIRAIG), réalisée en 2015 pour le compte du ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations du Québec (MEIE), les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par sa production primaire sont de 67 à 76 % inférieures à celles des alumineries chinoises, et de 19 % inférieures à celles des alumineries russes.
Un faible coût de possession
Considéré sur l’ensemble de sa durée de vie, le coût de possession d’une structure d’aluminium, comparativement à celui d’une structure d’acier, milite également en sa faveur dans les ouvrages d’art. Et ce, en dépit d’un coût d’acquisition plus élevé.
C’est d’ailleurs la conclusion d’une autre étude réalisée en 2012 pour le compte de l’Association de l’aluminium du Canada par MAADI Group et la firme Deloitte. Menée en milieu urbain et maritime et ayant comme point de référence une passerelle, l’analyse a démontré la supériorité de l’aluminium sur l’acier au regard de quatre catégories de coûts – acquisition, mise en oeuvre, entretien et récupération en fin de vie.
« Pour favoriser l’utilisation de l’aluminium dans les infrastructures routières et qu’elle soit prise en considération dans les appels d’offres, il faudrait que les donneurs d’ouvrage adoptent une approche de devis de performance et qu’ils tiennent compte du coût total de possession, note Jacques Internoscia. L’acier a un coût d’acquisition plus faible mais, contrairement à l’aluminium, il nécessite un entretien fréquent. En Europe, on a vu des ponts d’aluminium dont la construction remonte à plus de 20 ans et qui sont encore en parfaite condition. »
Des avancées probantes
D’autant plus que les dernières avancées technologiques, entres autres, en matière d’alliage et d’assemblage, sont prometteuses, précise le porte-parole de l’AAC. Au début de la décennie 1990, la mise au point d’une technique de soudure par friction- malaxage (SFM) permet aujourd’hui de réaliser des assemblages efficaces, sans perte de propriétés physiques ou mécaniques et sans qu’il soit nécessaire de recourir à des matériaux de soudage. Aussi, de nouveaux alliages, encore plus résistants à la corrosion, sont venus élargir la gamme de produits destinés au marché des infrastructures.
« Aujourd’hui, notre principale préoccupation, c’est de rassurer les donneurs d’ouvrage et les prescripteurs, confie-t-il. On a, entre autres, contribué au financement de la mise à jour des normes CSA 157, pour les charpentes d’aluminium, et CSA S6, pour le calcul des ponts routiers. Un comité technique travaille présentement à la mise à jour du chapitre 17 pour les structures en aluminium, publié en 2011. On a aussi élaboré des contenus de formation en collaboration avec le Réseau des ingénieurs du Québec et la Société canadienne de génie civil. Les ingénieurs disposent maintenant de tous les outils pour calculer l’aluminium dans les ponts. »
Des ambassadeurs crédibles
Il reste que, pour accélérer la transition, le gouvernement du Québec devra multiplier les missions commerciales, mais également les projets non seulement de démonstration, croit Jacques Internoscia. « C’est vraiment le facteur le plus important dans le processus d’appropriation d’une nouvelle technologie, dit-il. En 2015, le MTQ, a réhabilité le pont de Saint-Ambroise, au Saguenay, avec un platelage d’aluminium fourni par la compagnie américaine Aluma Bridge.
« Aluma Bridge vient d’ailleurs de finaliser avec succès un projet visant à tester des sections d’aluminium sur un pont mobile, en Floride, et le Ministère aimerait tester cette technologie sur des ponts de courte portée à poutres triangulées, ajoute-t-il. L’idée, ce n’est pas de remplacer tout le tablier, mais d’y insérer des sections et d’étudier leur comportement. »
Sauf qu’en raison des règles d’attribution des contrats au Québec, les projets-pilotes sont suspendus pour l’instant. Le Ministère doit d’abord mettre en place un cadre de gouvernance, un processus complexe faisant intervenir les directions territoriales. Il n’empêche, des industriels québécois commencent à s’intéresser à l’aluminium. Entre autres, Construction Proco qui a fait sa marque dans les charpentes d’acier. L’entreprise du Saguenay a récemment construit, à Alma, une passerelle en recourant au soudage par friction-malaxage pour assembler les extrusions. Elle l’a ensuite remise à la municipalité. Comme quoi, on peut parfois être prophète dans son propre pays !
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2017. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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