Une chronique du cabinet Dufresne Hébert Comeau - Les clauses de paiement sur paiement sont un phénomène assez particulier que l’on rencontre quasi exclusivement dans le domaine de la construction. En permettant aux entrepreneurs généraux de suspendre tout paiement tant qu’ils ne sont pas eux-mêmes payés par le propriétaire, ce type de clause met les sous-traitants à la merci d’une relation contractuelle qui ne les concerne pas et sur laquelle, bien souvent, ils n’ont aucun ascendant.
La Cour d’appel a confirmé que ces clauses étaient légales, mais a toujours laissé la porte ouverte à en contester l’application en cas d’abus. En quelque sorte, l’entrepreneur général qui désire se prévaloir d’une telle clause doit montrer « patte blanche » en prouvant qu’il n’a pas été négligent et qu’il a raisonnablement tenté d’obtenir le paiement de son client.
L’affaire 9144-5965 Québec inc. (Tavano Acoustique) c. La Corporation de construction Tridôme, entendue par la Cour du Québec l’an dernier, est une application intéressante de ces principes.
Tavano Acoustique avait conclu un contrat de plus de 400 000 $ pour la pose de gypse et de tuiles acoustiques sur un chantier de copropriété important connu comme le projet Ward. Impayée de quelque 50 000 $ en fin de projet, malgré l’absence de déficiences notables, Tavano essuie une fin de non-recevoir de Tridôme, qui invoque un défaut de paiement de son propre client et l’application de la clause de paiement sur paiement contenue au contrat de Tavano.
Une obligation de diligence
La preuve au procès indique que Tridôme a utilisé la clause de paiement sur paiement avec ses différents sous-traitants de façon plutôt variable. En effet, alors que Tavano est toujours impayée de son solde contractuel, d’autres sous-traitants qui avaient pour leur part publié une hypothèque légale sur l’immeuble ont été payés entièrement. Plus encore, bien qu’une somme importante lui soit due, il semble que Tridôme n’ait pour sa part inscrit aucune hypothèque légale, ni entrepris de recours judiciaire contre le propriétaire.
Devant un tel scénario, la Cour en vient à la conclusion que la clause de paiement sur paiement est exercée de façon excessive et déraisonnable, et la déclare inopposable à Tavano. Tridôme est donc condamnée à payer son sous-traitant immédiatement.
On peut retenir de cette cause les constats suivants :
- la clause de paiement sur paiement reste un outil légal et puissant que tout entrepreneur devrait tenter d’inclure dans ses contrats avec ses sous-traitants et fournisseurs. À l’inverse, il s’agit pour les sous-traitants d’une épée de Damoclès au potentiel dangereux, surtout sur les gros chantiers mettant en cause un grand nombre d’entrepreneurs.
- Néanmoins, cette clause exige de celui qui veut s’en prévaloir (généralement l’entrepreneur général) une attitude proactive pour faire valoir ses droits et, par ricochet, ceux de son sous-traitant. Le recours rapide aux procédures hypothécaires et/ou judiciaires est donc important.
- L’entrepreneur général qui dispose d’une telle clause dans plusieurs contrats sur un même chantier devra agir avec bonne foi et équité envers ses sous-traitants. La préférence donnée à certaines créances plutôt qu’à d’autres, sans motif valable, sera retenue contre lui. La publication d’une hypothèque légale par un sous-traitant, selon le jugement dans la présente affaire, ne serait pas considérée comme un motif valable.
Cette chronique constitue une source d’information générale. Pour toute question plus précise sur le sujet ou pour faire part de vos commentaires, nous vous invitons à communiquer avec l’auteur de cette chronique : Me Mathieu Turcotte, par courriel à mturcotte@dufresnehebert.ca ou téléphone au 514 331-5010.
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