Contraste spatial : la science au service de l'ambiance subjective

17 avril 2014
Par François Cantin, M. Sc. Arch.

C'est un fait, la plupart des professionnels appelés à se prononcer sur une stratégie en éclairage s'entendent généralement bien sur l'éclairement (quantité de lux) à fournir pour éclairer adéquatement un espace donné. Qui plus est, grâce aux outils de simulation informatisés désormais disponibles, la dimension fonctionnelle d'un environnement lumineux peut aisément être étudiée, et ce, peu importe le type d'espace à concevoir.

 

En contrepartie, aucune méthodologie permettant de « mesurer » la qualité perçue d'une ambiance lumineuse n'est pour le moment reconnue. Bien que les architectes utilisent depuis toujours la lumière afin d'animer et agrémenter les espaces qu'ils imaginent, la science du bâtiment ne leur a pas encore donné tous les outils nécessaires à l'exploration holistique d'une stratégie d'éclairage, du moins pas encore tout à fait...

 

Économie d'énergie et confort visuel

Tel que le font remarquer les chercheurs Siobhan Rockcastle et Marilyne Andersen dans l'une de leurs plus récentes publications1, les indicateurs de performances développés au fil des années et couramment utilisés en éclairage visent d'abord et avant tout à quantifier l'efficacité énergétique d'une stratégie d'éclairage ou encore à identifier les risques d'inconfort visuel encourus par les occupants. En ce sens, les indicateurs de plus en plus utilisés en simulation d'éclairage sont l'autonomie en éclairage et le daylight glare probability (DGP).

 

Le premier, tel que son nom l'indique, permet de quantifier l'autonomie en éclairage d'un espace en fonction d'un seuil d'éclairement naturel minimal fixé par le concepteur. Lorsque ce seuil est dépassé, il est considéré qu'un éclairage artificiel n'est pas nécessaire, donc que l'espace est autonome. Pour sa part, le DGP permet d'évaluer le pourcentage des occupants qui seraient incommodés par l'éclairage naturel à un moment donné, sous des conditions lumineuses précises et pour une position spécifique dans l'espace (champ de vision). Quoique extrêmement utiles aux concepteurs pour évaluer et peaufiner leur stratégie en éclairage, ces indicateurs ne sont malheureusement pas d'une grande utilité lorsque vient le temps d'évaluer la qualité lumineuse perçue par les occupants.

 

Contraste comme indicateur de la qualité

Afin de combler ce vide méthodologique, Andersen et son équipe basée à l'École Polytechnique de Lausanne (EPFL) ont entrepris un ambitieux projet de recherche en 2011, soit celui de documenter la dimension subjective d'une ambiance lumineuse générée par un éclairage naturel. S'inspirant des travaux de recherches antérieurs ayant établi une corrélation positive entre la variabilité de la luminosité au sein d'un espace et l'appréciation des gens qui l'occupent2 et des travaux de Claude Demers portant sur l'analyse du contraste et de la luminosité d'images3, les chercheurs proposent un cadre théorique innovant.

 

Brièvement, leurs travaux se résument en deux grandes étapes, soit l'identification de typologies architecturales riches en ce qui a trait aux contrastes lumineux agrémentant leurs espaces intérieurs et l'étude détaillée de la variabilité des contrastes pour chacune de ces mêmes typologies.

 

Matrice typologique et pixels

Pour déterminer les typologies, plusieurs œuvres architecturales contemporaines phares ont été analysées et regroupées sous différentes catégories en fonction de l'intensité et de l'importance des contrastes lumineux qui caractérisent leurs espaces intérieurs lorsque ceux-ci sont éclairés naturellement. Au final, pas moins de 15 typologies ont été identifiées et représentées sous la forme d'un modèle 3D afin d'en permettre l'étude.

 

L'équipe a ensuite développé une technique permettant l'analyse d'images de synthèse produites à partir des modèles 3D de chacune des typologies. En comparant les images sur la base de la luminosité des pixels les composant et en identifiant les zones où les variations sont brusques ou plus subtiles entre les pixels avoisinants, il a été possible pour les chercheurs de quantifier le contraste, d'en mesurer l'intensité. Éventuellement, cette méthode permettra de comparer différents concepts architecturaux, offrant aux professionnels un outil d'analyse complémentaire aux autres indicateurs décrits précédemment.

 

Face au caractère innovant de cette approche, il importe toutefois de demeurer prudent car, bien que l'on puisse affirmer que la variabilité lumineuse et la richesse des contrastes soient généralement appréciées par les occupants, la limite à partir de laquelle cette même variabilité devient gênante demeure floue. Ceci étant dit, il faut toutefois reconnaître que ces travaux de recherche, malgré leur stade embryonnaire, permettent de relancer le débat voulant qu'une science rigoureuse puisse aider à documenter une ambiance au caractère subjectif, ce qui en soi est très intéressant !

 

1. Siobhan, B. Andersen, M. (2013) Annual Dynamics of Daylight Variability and Contrast: A Simulation-Based Approach to Quantifying Visual Effects in Architecture, Springer: London, 83 p.

2. Parpairi, K., et al. (2002) The Luminance Differences index: a new indictor of user preferences in daylit spaces, Lighting Research and Technology, vol. 34, no 1, p. 53-68.

3. Demers, C. (2007) A classification of daylighting qualities based on contrast and brightness analysis. Conference Proceedings of the American Solar Energy Society, Cleveland, Ohio, p. 243-252

 


L’auteur est stagiaire en architecture chez Coarchitecture (anciennement Hudon Julien Associés), bénévole au sein de la section du Québec du CBDCa et membre d’ECOOP, une coopérative offrant divers services de consultation en science du bâtiment.

Conseil du bâtiment durable du Canada - section du Québec

Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 28 mars 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !