Le droit de négocier n’équivaut pas à une condamnation à s’entendre

12 novembre 2012
Par Me Benoit Byette

Il est admis que, dans le cadre d’une relation contractuelle, les parties cocontractantes doivent agir de bonne foi. Cela étant dit, faut-il en conclure autant que les parties sont condamnées à s’entendre sur les modalités d’un contrat, sans quoi, elles sont présumées ou réputées ne pas avoir agi selon les principes de la bonne foi. Cette question a récemment fait l’objet d’une analyse des tribunaux québécois, tant par la Cour supérieure du Québec que par la Cour d’appel, dans l’affaire de Axor Construction Canada inc. c. Bibliothèque et Archives nationales du Québec[1].

 

Les faits

En mars 1997, le gouvernement du Québec a annoncé son intention de construire la grande bibliothèque, qui allait plus tard être désignée sous l’appellation Bibliothèque et Archives nationales du Québec (« BNQ »).  Pour ce faire, le gouvernement a autorisé la BNQ à emprunter jusqu’à 90 636 310 $ pour financer le projet de construction. La construction s’est divisée en trois étapes, les deux premières ayant été complétées au mois de juin 2002.  Pour la troisième étape, soit celle qui comprenait la réalisation de la structure, de l’enveloppe, de la mécanique, de l’électricité et de la finition intérieure, la BNQ a procédé à un appel d’offres public.

 

La clause 11.1.1 des documents d’appel d’offres public était rédigée comme suit :

« 11.  CONDITIONS RELATIVES À L’ADJUDICATION DU CONTRAT

1.  Dépassement du budget

1. Le montant du contrat ne peut excéder le coût estimatif des travaux autorisés. Aussi, lorsque le montant de la plus basse soumission conforme excède le coût estimatif des travaux du lot 3 (ceci diffère du coût de construction du bâtiment pour les lots 1, 2 et 3, ainsi que du coût de réalisation de l’ensemble du projet de la Grande Bibliothèque du Québec), le propriétaire peut négocier avec le plus bas soumissionnaire si les modifications apportées n’excèdent pas 10 % du prix de sa soumission, auquel cas le contrat à signer sera au montant de sa soumission, le tout accompagné d’un avenant au contrat sous forme d’ordre de changement établissant les modifications à apporter au contrat dans le but d’en réduire le prix. »

 

Or, le montant du coût estimatif aux travaux pour le lot 3 n’était pas déterminé dans les documents d’appel d’offres public. Toutefois, celui-ci avait été évalué à 54 600 000 $ par les professionnels embauchés par la BNQ.

 

À l’ouverture des soumissions, le plus bas soumissionnaire conforme était Axor Construction Canada inc. (« Axor ») qui offrait de réaliser les travaux pour un montant de 57,4 millions $.  Cette soumission excédait de 2,8 millions $ le coût estimatif des travaux, dont Axor avait appris la teneur lors des discussions préalables au dépôt de sa soumission.

 

Par la suite, des échanges et des rencontres ont eu lieu entre les représentants d’Axor et de la BNQ afin de réduire le coût des travaux et de respecter le coût estimé de ceux-ci.  Après avoir étudié les modifications proposées par Axor, la BNQ, appuyée par ses professionnels, a conclu que celles-ci lui paraissaient inacceptables et avaient comme conséquence de dénaturer le projet.

 

La BNQ a donc privilégié une solution alternative, soit celle de faire des démarches auprès du gouvernement afin d’obtenir une augmentation du budget dans le but de respecter l’intégralité du projet dans la mesure du possible. Alors que la BNQ informe Axor des démarches qu’elle a entreprises auprès du gouvernement, et lui demande de cesser de travailler sur des ébauches de modifications du projet, Axor lui indique, par lettre signée de ses avocats, qu’une telle démarche serait contraire à l’article 11.1.1 des documents d’appel d’offres et informe la BNQ qu’elle refuse de participer au projet de construction qui, selon elle, serait basé sur une entente contractuelle illégale. La BNQ obtient finalement l’accord du gouvernement pour augmenter le budget. Par deux fois, la BNQ invite Axor à signer le contrat de construction conforme aux documents d’appel d’offres ainsi qu’à la soumission d’Axor. Chaque fois, Axor refuse de signer le contrat et exige de la BNQ que celle-ci reprenne les négociations afin de trouver un terrain d’entente sur les modifications apportées au contrat.

 

Compte tenu du refus d’Axor de signer le contrat et compte tenu de la volonté de la BNQ d’aller de l’avant avec le projet, celle-ci signe finalement un contrat avec H. Pomerleau inc. (« Pomerleau »), le deuxième plus bas soumissionnaire pour un montant de 59 495 000 $.

 

La BNQ intente donc un recours contre Axor afin d’être indemnisée du montant supplémentaire qu’elle a dû payer pour retenir les services de Pomerleau et Axor intente à son tour des procédures judiciaires afin d’être indemnisée pour la perte de profits.

 

Analyse

Axor prétend notamment que la BNQ ne pouvait écarter les exigences essentielles de l’appel d’offres, notamment le montant du coût estimatif des travaux pour le lot 3, et soumet que la BNQ avait l’obligation de respecter les règles qu’elle avait elle-même établies dans les documents d’appel d’offres, soit de négocier la réduction des coûts des travaux. De son côté, la BNQ a plaidé notamment que les documents d’appel d’offres, dont la clause 11.1.1, ne l’obligeaient pas à négocier une réduction de coût mais lui donnaient la possibilité de le faire si cela s’avérait nécessaire pour respecter son budget.  La BNQ a aussi soutenu qu’Axor était de mauvaise foi puisqu’elle avait déposé une soumission qu’elle savait déficitaire dans le seul but d’être le plus bas soumissionnaire.

 

La Cour supérieure du Québec a conclu que la clause 11.1.1 des documents d’appel d’offres n’emportait pas d’obligation pour la BNQ de négocier une réduction des coûts et de s’entendre avec Axor sur l’étendue de ceux-ci. Cette clause donnait plutôt à la BNQ la faculté de négocier une telle réduction.

 

La juge Michèle Monast de la Cour supérieure a indiqué que la validité d’un tel processus de négociation contenu dans des documents appel d’offres public avait été reconnue par les tribunaux [2]. La Cour supérieure a donc rejeté le recours d’Axor et a accueilli la réclamation de la BNQ au montant de 2 095 000 $.

 

Axor a interjeté appel de cette décision en maintenant que les documents d’appel d’offres lui conféraient un droit de négocier en sa faveur et une obligation de négocier de la part de la BNQ.

 

La Cour d’appel du Québec, à l’unanimité, a maintenu que la BNQ n’avait pas l’obligation de négocier une réduction des coûts mais n’avait que la faculté de le faire. Qui plus est, la Cour d’appel a déterminé que la BNQ avait exercé cette faculté de négocier de bonne foi après l’ouverture des soumissions en tentant de trouver des compromis afin de respecter son budget initial. Toutefois, la BNQ n’avait pas l’obligation de conclure une entente avec Axor qui avait comme conséquence de dénaturer le concept architectural du projet. Selon la Cour d’appel, rien n’empêchait cet organisme public d’obtenir une révision de son budget initial afin d’accepter la soumission d’Axor.

 

La Cour d’appel a, par conséquent, rejeté l’appel intenté par Axor et a maintenu le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec. 

 


Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Benoit Byette, par téléphone au 514 871-5498 ou par courriel à bbyette@millerthomsonpouliot.com.

 

1. Axor Construction Canada inc. c. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2010 QCCS 3232, 2012 QCCA 1228.

2. Double N.Earth Movers Ltd. c. Edmonton (Ville de) (2007) 1 R.C.S. 116

 

Miller Thomson avocats

 

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 8 novembre 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !