La loi prévoit une garantie de cinq ans contre la perte d’un ouvrage immobilier suite à sa construction.1 Cette garantie s’applique lorsque l’immeuble affecté de vices graves ne peut pas servir à l’usage pour lequel il est destiné. Elle peut être invoquée à l’encontre de l’entrepreneur, des professionnels ayant surveillé les travaux et même du sous-entrepreneur relativement aux travaux qu’il a exécutés. Mais qui peut s’en prévaloir ? Une décision récente nous rappelle que seul le client bénéficie de cette garantie, à l’exclusion de l’entrepreneur ou du promoteur immobilier.
Les faits
L’entreprise 9165-2115 Québec inc. (« 9165 ») est constituée afin d’acquérir une vieille bâtisse industrielle et la convertir en 51 unités résidentielles. Pour réaliser son projet, 9165 mandate la firme Karl Fischer Design inc. (« KFD ») à titre de professionnel en architecture et le Groupe Aecon Québec ltée (« Aecon ») comme entrepreneur général. KFD retient à son tour les services de Desjardins Experts-Conseils (« DEC ») pour concevoir et préparer les plans et devis concernant, entres autres, la plomberie, la ventilation et l’électricité du bâtiment.
Le 27 août 2008, KFD émet un certificat d’achèvement substantiel des travaux, certifiant que pour toute la bâtisse, des garages au penthouse, ils sont complétés et que l’immeuble est prêt pour occupation par les résidents.
Un an plus tard, en prévision de la réception des aires communes par le Syndicat des copropriétaires (« Syndicat »), ce dernier mandate le technologue professionnel en architecture R. Touchette afin d’inspecter les parties communes et, le cas échéant, de dresser une liste de déficiences. Ce dernier constate alors des vices au niveau des séparations coupe-feu en ce que les conduits qui traversent ces séparations ne sont pas colmatés. Ce défaut rendrait l’ouvrage non conforme aux exigences du Code de la construction et donc, impropre à l’habitation. Suite au rapport de M. Touchette, le Syndicat fait procéder à la vérification de tous les conduits de l’immeuble et découvre que plusieurs d’entre eux présentent le même problème.
Face aux demandes du Syndicat, 9165 encourt tous les frais nécessaires pour corriger ces déficiences et permettre la réception de l’ouvrage. 9165 cherche ainsi à se faire indemniser par les responsables. La question se pose alors : 9165 peut-elle invoquer la garantie légale contre la perte de l’ouvrage pour obtenir réparation de la part de l’architecte KFD, de l’ingénieur DEC et de l’entrepreneur général Aecon ?
La décision
9165 reproche à KFD de ne pas avoir décelé les vices de construction concernant les conduits dans les séparations coupe-feu alors que cette dernière avait le mandat partiel de surveiller l’exécution des travaux. 9165 cherche ainsi à se prévaloir de la garantie légale contre la perte de l’ouvrage. Toutefois, le juge rappelle le principe à l’effet que cette garantie ne peut pas être invoquée par le propriétaire qui se définit lui-même comme étant un promoteur immobilier.2 En effet, la loi prévoit qu’un promoteur immobilier dont le but est de construire ou de faire construire une bâtisse pour la vendre doit être assimilé à un entrepreneur3. Ainsi, non seulement 9165 ne peut se prévaloir de cette garantie légale contre la perte de l’ouvrage, mais c’est elle, à l’inverse, qui est tenue d’honorer cette garantie à l’égard des acheteurs des unités résidentielles du projet.
Sans le bénéfice de cette présomption, 9165 a le fardeau de démontrer précisément la faute commise par KFD dans l’exécution de son contrat de services. Rappelons que cette dernière n’avait qu’un mandat de surveillance partielle des travaux. Il ressort de la preuve que ses visites ponctuelles au chantier ne lui permettaient que de déceler les déficiences visibles. Or, l’absence de colmatage des conduits des murs coupe-feu ne peut être détectée par un simple examen visuel. Faute de preuve, le Tribunal ne tient pas KFD responsable pour ces vices graves affectant l’usage de l’immeuble et rejette le recours de 9165.
Survol de la garantie légale
La garantie légale contre la perte de l’ouvrage permet au propriétaire de bénéficier d’une présomption de faute de l’entrepreneur, de l’architecte ou de l’ingénieur ayant surveillé les travaux, ainsi que du sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a réalisés. Concrètement, le propriétaire doit ainsi démontrer que son immeuble est affecté d’un vice grave qui l’empêche de servir à l’usage auquel on le destine. Sans le bénéfice de cette présomption, le propriétaire doit se rabattre sur le régime général de responsabilité civile et démontrer, en sus de ce qui précède, qu’une faute a été commise et l’attribuer précisément à l’un ou l’autre des intervenants au chantier.
La durée de cette garantie est de cinq ans suivant la fin des travaux. Ainsi, si le vice grave se manifeste à l’intérieur de ce délai, le propriétaire peut s’en prévaloir. De plus, le vice doit être qualifié de grave, par opposition à mineur, au point où la structure ou la stabilité de l’immeuble sont mises en péril, ou encore que l’immeuble ne puisse pas servir à l’usage auquel il est destiné. En d’autres termes, il faut que ces déficiences représentent plus que des inconvénients sérieux. Autrement, les vices seraient qualifiés de malfaçons et entraîneraient plutôt l’application d’une autre garantie légale, celle-ci d’une durée d’une année seulement.4
1. Article 2118 du Code civil du Québec
2. Treitel c. Standard Structural Steel Ltd., (C.A., 1987-01-07), J.E. 87-107
3. Article 2124 du Code civil du Québec
4. Article 2120 du Code civil du Québec
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Anik Pierre-Louis au 514 871-5372ou par courriel à apierrelouis@millerthomson.com
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 4 décembre 2014 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !