Gestion des eaux usées : le futur est décentralisé

31 juillet 2015
Par Mathieu Fleury, architecte, P.A. LEED BD+C*

Les enjeux liés à la gestion de l’eau sont d’une importance majeure dans la recherche d’un rétablissement de notre équilibre avec la nature. Avec des évènements tels que la sécheresse en Californie ainsi que les nombreux épisodes d’eau contaminée, ces enjeux nécessitent d’être étudiés et planifiés avec soin dans tous les projets immobiliers.

Alors que les stratégies de réduction d’utilisation de l’eau potable, tant par l’utilisation d’appareils à faible débit ainsi que par la récolte des eaux pluviales, deviennent des pratiques courantes, le traitement des eaux usées in situ demeure toujours marginal. Si celui-ci est souvent mis de côté de facto dans de nombreux projets, la question mérite tout de même d’être considérée attentivement en fonction de facteurs tels le site, les infrastructures locales ainsi que la vision et les ressources des acteurs impliqués.

 

L’eau potable possède une empreinte énergétique colossale et le Québec ne fait pas exception. Cela même si l’eau douce nous semble offerte en quantité importante, sans possibilité de pénurie. Nous ne payons pas le coût véritable pour l’exploitation de cette ressource naturelle et l’utilisation de l’eau potable pour l’évacuation de nos déchets importe peu à trop d’entre nous. En y portant réflexion, force est de constater que l’énergie requise pour nous permettre d’utiliser l’eau comme nous le faisons, tout comme les impacts environnementaux qui y sont liés, est disproportionnée.

 

En effet, un double effort est requis pour nous permettre d’utiliser l’eau telle que nous le faisons : un premier pour rendre l’eau propre à la consommation humaine, un second pour le traitement de nos eaux usées. Cette proportion prend encore davantage d’importance lorsque nous considérons que la plus grande partie de l’eau que nous utilisons pour nos besoins quotidiens n’a pas besoin d’être traitée de manière à atteindre les niveaux exigés pour l’eau potable.

 

Cependant, les systèmes centralisés d’aqueduc distribuent uniquement de l’eau potable et cela sans égard à l’utilisation qui en sera faite. Pour les propriétaires qui décident de mettre en place des systèmes efficients de réduction de la consommation d’eau, le traitement sur place et la réutilisation des eaux usées constituent l’étape finale qui leur permet de fermer la boucle : un cycle continu, circonscrit, décentralisé, permanent et abondant. Et si les eaux noires devenaient une occasion d’innovation ?

 

Plusieurs stratégies sont envisageables pour les propriétaires immobiliers qui souhaitent mettre en place des systèmes de traitement des eaux usées intégrés à leurs bâtiments. En premier lieu, il est primordial de réduire au minimum la consommation d’eau. En réduisant la quantité d’eau qui est évacuée, le volume d’eau à traiter est proportionnellement diminué.

 

Généralement, cette réduction est réalisée en utilisant des appareils de plomberie à faible consommation et par la récolte des eaux de pluie. Les toilettes à compost sont également une stratégie particulièrement efficiente1. Les eaux grises, peu polluées et généralement collectées à partir des lavabos, douches et machines à laver peuvent également être réutilisées directement dans les toilettes. Les eaux noires, davantage polluées et provenant essentiellement des cabinets d’aisances, des urinoirs ou de procédés industriels, nécessitent un traitement plus intensif. Elles constituent la dernière étape au cours du cycle.

 

La méthode qui semble la plus répandue pour le traitement des eaux noires in situ est le traitement par bioréacteur à membrane. Les systèmes de bioréacteurs constituent une technologie récente, relativement simple.

 

Comparativement aux traitements conventionnels qui se servent de la gravité pour séparer les composantes contenues dans les eaux souillées, les systèmes de bioréacteurs utilisent la microfiltration qui s’avère plus rapide, plus efficace et moins polluante que les méthodes traditionnelles. Ce type d’installation, intégré à un bâtiment, constitue en quelque sorte une minicentrale de traitement des eaux et fonctionne comme suit :

 

  • L’eau passe à travers un premier filtre afin d’éliminer les composantes non biologiques tels les résidus de plastique ou de papier. Un broyeur peut également être utilisé à cette étape. Un ensemble de micro-organismes contenu dans le réservoir dégradent les matières organiques.
  • L’eau est ensuite pompée à travers une membrane qui, de par ses fibres serrées, retient les sédiments en suspension.
  • L’eau subit un traitement au chlore ou aux rayons ultraviolets afin d’éliminer toute possibilité de présence de microbes résiduels.
  • L’eau est finalement emmagasinée dans des réservoirs afin d’être réutilisée dans les bâtiments. Si un surplus d’eau survient, celle-ci est suffisamment propre pour être dirigée vers un cours d’eau avoisinant ou idéalement dans un bassin d’infiltration. Cette eau non potable peut être utilisée dans les toilettes, les systèmes de protection incendie, pour l’irrigation des aménagements paysagers, dans les machines à laver, etc.
  • Les boues résiduelles générées par le processus peuvent être récupérées par une entreprise spécialisée. Dans tous les cas, le traitement de ces résidus constitue une autre opportunité d’innovation afin de leur trouver un usage utile et de les intégrer dans un processus cyclique.

 

Ces systèmes peuvent être mis en œuvre à toutes les échelles : des résidences individuelles aux gratte-ciel, en passant par les stades et les musées. Comme ces technologies sont encore peu répandues, elles demeurent relativement coûteuses.

 

Néanmoins, avec le nombre grandissant de propriétaires qui intègrent ces installations à leurs bâtiments, il est possible de croire que les coûts liés à la mise en œuvre de ces systèmes vont diminuer avec leur généralisation. Il s’agit d’un pas de plus vers un futur décentralisé, où les bâtiments seront indépendants des grands réseaux, tant d’électricité que d’aqueduc et d’égouts.

 

L’approche environnementale en architecture et le système de certification LEED aiguillent l’industrie vers ces objectifs et nous rappellent que l’eau est une ressource précieuse et essentielle à la vie. Elle nous permet d’évoluer vers un environnement bâti nous permettant une grande résilience en raison des concepts de décentralisation, d’indépendance.

 

1. http://www.bullittcenter.org/2012/06/14/composting-toilets-at-the-bullitt-center/


L’auteur est architecte pour la firme Vachon & Roy à Gaspé. On peut communiquer avec lui par courriel à mfleury@vachonroyarchitectes.com.

Conseil du bâtiment durable du Canada - section du Québec

Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 24 juin 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiésar Constructo, abonnez-vous !