Le leadership au cœur de la prévention sur les chantiers

8 octobre 2024
Par Benoit Poirier

La santé et sécurité du travail n'est pas uniquement affaire de règlements, d'autorité ou de mode d'emploi. C'est une question de responsabilité qui incombe à tous ceux et celles qui participent à un projet, du maître d'œuvre aux sous-traitants en passant par les fournisseurs et chacun des manœuvres.

C’est ce que martèle et enseigne depuis 38 ans Alain Tremblay, conseiller en santé et sécurité du travail au Centre patronal SST. Dans ce domaine, affirme-t-il, le leadership est une question d’éthique que tout le monde doit partager, assumer. Constamment.

 

« Ce n’est pas parce que je porte ma ceinture de sécurité, juste parce que tu es là et que j’ai peur de me faire prendre, que je vais la porter demain ou après-demain en ton absence », illustre celui qui a tour à tour agi comme inspecteur, enquêteur, gestionnaire et formateur, notamment dans les milieux municipal et industriel, sur les chantiers, en entreprise et au collégial. « L’avantage de faire preuve de leadership est que cela permet de rappeler au quotidien que c’est important, pas juste en paroles, mais en actions. »

 

Mais qu’est au juste le leadership en santé et sécurité ? C’est, selon lui, l’art d’assumer volontairement ses responsabilités, par conviction, par souci du travail bien accompli, en intervenant de façon efficace et adéquate. C’est être en mode prévention et non réaction, de repérer les situations périlleuses avant qu’elles ne se dégradent. « De favoriser non pas l’élimination des risques, ce qui paraît impossible sur un chantier, mais plutôt la diminution de ceux-ci. Tout ça en ayant une main de fer dans un gant de velours », la première relevant du savoir-faire, le second du savoir-être.

 

Non pas pourquoi, mais pour qui

« Avant de savoir pourquoi nous voulons de la santé sécurité sur un chantier, il faut toujours se rappeler pour qui nous faisons ça. Nous le faisons pour revenir à la maison avec les mêmes morceaux et en aussi bon état à la fin qu’au début de la journée. Nous le faisons pour nous-même et pour les autres. Pas pour la loi », remarque Alain Tremblay.

 

Alain Tremblay, conseiller en santé et sécurité du travail au Centre patronal SST. Crédit : Centre patronal SST

 

Si la prévention est l’affaire de tout un chacun, le représentant SST a, lui, un rôle stratégique, soit celui de faire le lien entre tous les acteurs d’un projet. « Il est comme le liant dans un mur de briques. » Il y a autant de types de leadership qu’il y a de personnalités, présente-t-il. Il y a par exemple celui du bon père de famille (on parle aujourd’hui de diligence raisonnable). « La tendance est aujourd’hui d’afficher un leadership que je dirais plus axé sur l’individu que sur le résultat. Mais il y a tellement d’impondérables ! »

 

En fait, assure-t-il, il importe de s’adapter à chaque situation. Lorsqu’un travailleur vient de se blesser en chutant d’un étage, ce n’est pas le moment d’avoir recours à un style dominant autoritaire. « Une gestion rigoureuse est très importante dans ce domaine. Mais avant de gérer un projet, un dossier, il faut se rappeler que l’on gère d’abord des humains, dont on ne connaît ni le niveau de fatigue, de stress, d’engagement, ni la situation personnelle. »

 

Faire appel à l’intelligence des gens

« Nous avons souvent tendance à intervenir en disant aux gens comment faire. Puis à répéter, répéter, répéter. Lorsque nous voulons enseigner à des gens comment faire quelque chose qu’ils savent déjà faire, nous risquons d’insulter leur intelligence. Mais si j’aborde la personne en misant sur le pourquoi, en lui expliquant de façon claire et directe le danger qu’elle court, je risque de plutôt solliciter son intelligence. Elle sera alors plus encline à comprendre et à agir », constate le conseiller.

 

Comme le rappelle notre interlocuteur, la santé et sécurité, ce n’est ni une option ni une simple obligation. C’est la loi. Elle doit concrètement transcender les valeurs organisationnelles d’une entreprise. Si les actions concrètes témoignent d’un grand leadership en santé sécurité, le suivi en est le mot-clé, croit-il. une correction a été effectuée selon les règles de l’art, dans les délais prévus et, surtout, si celle-ci donne les résultats escomptés. » L’une des graves erreurs est de se donner bonne conscience parce que l’on respecte les procédures et que l’on fournit, ou que l’on porte, les équipements de protection individuelle. Ceux-ci sont simplement un « plus ». Ils n’éliminent aucunement les dangers à la source. Ce sont eux qu’il faut prévenir, insiste Alain Tremblay.

 

Entrent alors en jeu l’intelligence émotionnelle, l’intelligence relationnelle, l’écoute active et l’empathie. « L’idée est d’encadrer tout ça avec une bonne dose de fermeté bienveillante. » Surveiller, relever les erreurs et les risques, c’est primordial, rappelle-t-il. Il importe d’être constamment en mode vigilance et proactif. « Un bon leader en santé sécurité a toujours le sensor à on. Il est toujours prêt à détecter les situations potentiellement à risques. » Mais les encouragements et la reconnaissance des bonnes actions sont aussi importants. Comme de saluer « celui qui va le porter son foutu casque de sécurité sur un chantier, quand il fait 38° avec le facteur humidex. »

 

PAS BESOIN. J’EN AI POUR DEUX MINUTES.

Une couche de terre argileuse de la grosseur d’une laveuse à linge pèse une tonne, soit le poids d’une petite berline. Si elle se détache d’une tranchée sans étançon, elle peut ensevelir une personne qui s’y trouve en une seconde et demie. Une pièce de métal coincée dans une meule tournant à des milliers de révolutions par minute peut faire éclater celle-ci à la manière d’une mine anti-personnelle. D’où la nécessité de porter des lunettes protectrices. Le centre de gravité d’un chariot élévateur étant très bas, la ou les personnes présentes dans la nacelle risquent d’en être violemment expulsées et écrasées par l’engin s’il bascule.

« La ceinture de sécurité ne protège pas contre toute blessure, mais au moins on te retrouve vivant », plaide Alain Tremblay. « C’est quoi un accident ? C’est quelque chose qui n’est pas supposé arriver, mais qui arrive quand même. » Selon la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), on dénombre chaque année quelque 200 décès liés au travail, dont une soixantaine dans le secteur de la construction. C’est beaucoup moins qu’il y a 30 ou 40 ans. Mais cela demeure trop.

« Nous sommes, je dirais, biologiquement conçus pour générer le moins d’énergie possible. Ce n’est pas un geste naturel de se protéger. C’est une habitude à adopter. »