Le Code civil du Québec à ses articles 2728 et suivants accorde un droit à l’hypothèque légale en faveur des personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble. L’hypothèque légale garantit la plus-value donnée à l’immeuble par les travaux, matériaux ou services fournis.
Comme tout autre droit, le droit à l’hypothèque légale ne doit jamais être exercé de manière excessive, abusive ou afin de nuire à autrui. La personne qui fait défaut d’exercer de bonne foi son droit à l’hypothèque légale et qui fait publier de façon abusive un avis d’hypothèque légale non fondé pourrait être tenue de dédommager les propriétaires de l’immeuble grevé d’une telle hypothèque. C’est ce qu’un entrepreneur en construction a récemment appris à ses dépens dans l’affaire Bergeron c. 9099-5374 Québec inc. (Gestion L.M.S.) dont le jugement de la Cour supérieure a été rendu le 21 septembre 2012.
Les faits
Carol Bergeron et Sophie Gagné (ci-après les « demandeurs ») vendent leur résidence en novembre 2009 avec l’obligation de la livrer le 1er juillet 2010.
Ils achètent un terrain pour y construire une résidence mais le terrain choisi est constitué d’une montagne de roc qu’il faut dynamiter en grande partie. Ainsi, ils retiennent les services de Gestion L.M.S. (ci-après « LMS ») pour effectuer les travaux de dynamitage au coût de 20 000 $ en exigeant comme date d’échéance le 1er juin 2010.
Une telle échéance au 1er juin 2010 pour le dynamitage permettrait à un tiers constructeur retenu par les demandeurs de construire la résidence de ces derniers à partir du 1er juillet 2010 et la livrer le 1er octobre 2010.
Ayant eux-mêmes l’obligation de livrer au 1er juillet 2010 leur propre résidence vendue en novembre 2009, les demandeurs se louent un chalet pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010. Tout semble être en ordre pour les demandeurs.
Les choses se gâtent lorsque les demandeurs se rendent compte que LMS accuse un retard important pour livrer le terrain adéquatement dynamité en date du 1er juin 2010, tel que prévu.
Le 22 juillet 2010, donc, les demandeurs donnent instruction à leur avocat de mettre en demeure LMS de s’exécuter et lui faire valoir qu’ils auront une réclamation en dommages pour le moment inquantifiable.
Puisque les travaux se poursuivent à pas de tortue, l’avocat des demandeurs transmet une nouvelle mise en demeure le 7 septembre 2010. Bien que l’avocat mette l’accent catégorique sur l’urgence de la situation, il n’inspire pas LMS à se dépêcher pour autant.
De fait, ce n’est qu’en date du 12 octobre 2010 que LMS livre le terrain prêt à être construit faisant en sorte que la nouvelle demeure des demandeurs n’est prête, quant à elle, qu’au printemps 2011.
Entretemps, soit en date du 29 octobre 2010, les demandeurs adressent une réclamation à LMS totalisant 48 217,41 $ pour tous les dommages qu’ils ont encourus à cause du retard de LMS à livrer le terrain convenablement dynamité.
En réponse à cette réclamation des demandeurs, LMS procède à faire publier un avis d’hypothèque légale relativement au terrain dynamité au montant de 217 417,21 $ malgré le fait que le terrain n’en vaut que 71 000 $ et que les travaux de LMS ne valent qu’à peine 20 000 $ !
Les demandeurs s’adressent au tribunal en demandant la radiation de l’hypothèque légale publiée par LMS ainsi que le paiement de leurs dommages.
La décision de la Cour
Le tribunal est d’avis que la publication par LMS de l’avis d’hypothèque légale au montant de 217 417,21 $ « n’avait pas sa raison d’être, et était absolument abusive et manifestement faite dans l’intention de nuire aux demandeurs ».
Le juge nous rappelle que l’hypothèque légale ne garantit que la plus-value donnée à l’immeuble par les travaux exécutés par celui qui la publie.
Entre autres, le fait que l’hypothèque légale soit au montant de 217 417,21 $ alors que le terrain ne vaut que 71 000 $ et que les travaux de LMS ne valent qu’à peine 20 000 $ tend, selon le tribunal, à démontrer la mauvaise foi de LMS et de son désire d’intimider, embarrasser et nuire au crédit des demandeurs.
Le tribunal procède donc à la radiation de l’hypothèque légale de LMS et condamne cette dernière à payer aux demandeurs des dommages prouvés incluant, parmi d’autres, ceux sous les chefs de réclamation suivants : loyer de cinq mois au chalet loué, augmentation de la TPS, troubles, ennuis et inconvénients. Le total des dommages accordés aux demandeurs se chiffre à 24 594,94 $.
LMS a inscrit cette décision en appel. Nous vous tiendrons au courant des développements.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Antonio Iacovelli par courriel à aiacovelli@millerthomson.com ou par téléphone au 514 871-5483.
Cette chronique est parue dans l’édition du mardi 5 mars 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !