Le processus d’appel d’offres dans le domaine de la construction, qui fait couler beaucoup d’encre dans les médias ces derniers temps, a toujours été un sujet de prédilection pour les juristes et les tribunaux. Pas étonnant, puisqu’il s’agit d’un passage obligé pour l’octroi de nombreux contrats, particulièrement les contrats publics et parapublics.
Les règles et procédures mises en place par le législateur en ce domaine, par exemple la Loi sur les contrats des organismes publics et ses règlements, visent essentiellement à assainir la concurrence et permettre la comparaison des soumissions reçues sur une juste base. La jurisprudence volumineuse rendue dans ce domaine a d’ailleurs confirmé les grands principes énoncés à la Loi, notamment l’obligation de transparence et le principe de l’équité entre les soumissionnaires.
Dans ce contexte s’est posée à plusieurs reprises la question de la discrétion et de la latitude pour le donneur d’ouvrage de choisir un produit de référence dans ses documents d’appel d’offres. La Cour supérieure s’est de nouveau penchée sur la question l’été dernier dans un jugement rendu dans l’affaire Soprema inc. c. Commission scolaire du Chemin-du-Roy.
Un choix de produit contesté
Depuis quelques années, la Commission scolaire du Chemin-du-Roy, dans la région de la Mauricie, a décidé de privilégier un type de membrane particulier pour les toitures de ses immeubles, soit du P.C.V. de marque Sarnafil, plutôt qu’une membrane de bitume modifié avec laquelle elle estime avoir vécu une mauvaise expérience dans le passé.
Cette décision a provoqué l’opposition de plusieurs entrepreneurs, appuyés notamment par l’Association des constructeurs de la Mauricie, qui ont demandé de faire une plus grande place aux autres produits existants sur le marché, notamment les membranes de type élastomère de Soprema, argumentant que ce choix permettrait de faire des économies substantielles par rapport aux produits en P.C.V.
S’en tenant à son évaluation, la Commission scolaire a lancé des appels d’offres en mars 2009 visant la réfection des toitures de six écoles, en exigeant l’utilisation du produit Sarnafil ou un équivalent. Cette décision a rapidement fait l’objet d’une contestation judiciaire par le biais d’une demande d’injonction visant à faire annuler le processus.
Les demandeurs à l’injonction, appuyés par la compagnie Soprema, dont on devine aisément l’intérêt, se plaignent de la présélection par la Commission scolaire d’un type de produit particulier, et d’un certain nombre de faits permettant de croire en l’absence de possibilité réelle de proposer un équivalent acceptable au produit de marque Sarnafil. Est-ce pour autant une entrave à la libre concurrence ?
Le juge Richard rappelle que les exigences posées par la jurisprudence sont de favoriser la compétition en donnant à plusieurs soumissionnaires une opportunité équitable d’obtenir le contrat, ce qui n’empêche pas le donneur d’ouvrage d’imposer un produit, voire une marque en particulier, pourvu que cette présélection ne limite pas indûment le nombre de soumissionnaires potentiels. Le juge rappelle toutefois que cette discrétion du donneur d’ouvrage doit être balisée par l’opportunité de présenter des équivalences au produit recherché.
Dans le cas du produit en P.C.V. exigé par la Commission scolaire, la preuve a permis de constater qu’un nombre amplement suffisant de couvreurs au Québec étaient qualifiés pour soumissionner. Le jeu de la concurrence, pour la Cour, était donc assuré, malgré la nette préférence de la Commission scolaire pour le produit Sarnafil. Ainsi, selon le juge Richard : « La jurisprudence est constante, on ne peut cibler un seul soumissionnaire car, ce faisant, on empêche la libre concurrence. Mais dans le cas qui nous concerne, c’est un produit qu’on a ciblé et non pas des soumissionnaires et la preuve est à l’effet que pas moins d’une dizaine de soumissionnaires pouvaient soumettre leur prix uniquement en Mauricie. »
Par ce jugement, la Cour supérieure réitère la discrétion d’un donneur d’ouvrage, même public, d’opter pour des matériaux, des technologies, voire des produits particuliers, pour répondre à ses besoins ponctuels, à la condition que ces choix n’aient pas pour effet d’éviter la concurrence. La cour n’interviendra dans le processus qu’en cas de fraude ou de mauvaise foi, sans autrement s’immiscer dans l’opportunité de la discrétion exercée par un donneur d’ouvrage.
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