Réception provisoire ou définitive : à quand la fin des travaux ?

13 janvier 2010
Par Mathieu Turcotte

Le droit d’action d’une partie ayant subi un dommage se prescrit généralement par trois ans au Québec. Au-delà de ce délai, une poursuite, même bien fondée sur le fond, est susceptible d’être rejetée sur une base préliminaire. Le point de départ de ce délai de prescription est fixé en fonction des circonstances factuelles propres à chaque cas mais certaines règles s’appliquent de façon plus particulière au domaine de la construction.

 

Par exemple, une réclamation fondée sur l’existence d’un vice caché pourra être instituée dans les trois ans de la première manifestation perceptible du problème, même si cet événement survient de nombreuses années après l’achat. Quant aux réclamations susceptibles de se produire sur un chantier de construction, par exemple pour des coûts additionnels, elles devront être judiciarisées dans les trois ans de la fin des travaux.

 

Cette notion de fin des travaux, qui a fait couler beaucoup d’encre en jurisprudence, est définie comme visant la fin de tous les travaux sur un chantier et réfère au moment où l’immeuble est en état de servir conformément à l’usage auquel il est destiné. Cette détermination, qui doit être faite à la lumière de l’ensemble des faits, est souvent controversée, d’autant plus que la date retenue a ultimement un effet sur la validité des hypothèques légales publiées et des recours entrepris par la suite.

 

Un tel débat sur la date de fin des travaux s’est transporté devant la Cour d’appel cet hiver, dans l’affaire Construction Socam ltée c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS).

 

Les faits
Construction Socam a effectué des travaux de réfection et de rénovation de l’immeuble du CHUS en 1997. Le 21 juin 2001, l’entreprise instituait une action en justice de plus de 1 100 000 $ pour des dommages causés par des conditions d’exécution imprévues et des retards de chantier attribuables au propriétaire. Cette action fut rejetée par la Cour supérieure dans le cadre d’une requête en rejet fondée sur le fait que le recours avait été intenté plus de trois ans après la fin des travaux. Socam s’est donc pourvue en appel de ce jugement, alléguant que la Cour avait erré en fixant la fin des travaux, et donc qu’elle avait conclu à tort à la prescription de son action.

 

Notion de fin des travaux
En appel, Socam plaide que la fin des travaux doit être déterminée à la lumière des dispositions contractuelles particulières qui avaient été convenues entre les parties, et demande à la Cour de computer le délai de prescription à compter de la fin du contrat, plutôt que la fin des travaux. La Cour rejette cet argument et rappelle que ces deux notions sont différentes et, au surplus, qu’on ne peut contractuellement convenir d’un délai de prescription autre que celui prévu par la loi.

 

Socam porte donc le débat sur un terrain plus factuel, soit celui de la détermination de la fin réelle des travaux. Plus particulièrement, elle suggère de considérer que la réception définitive de l’ouvrage doit être assimilée à la fin des travaux, ce qui a évidemment l’avantage de repousser le point de départ du délai de prescription.

 

Or, pour la Cour d’appel, l’étape de la réception définitive de l’ouvrage, du moins dans ce dossier, n’est pas significative. Cette étape intervient en effet au moment où tous les travaux sont parachevés et corrigés, et après que l’entrepreneur a remis toutes les attestations et documents requis, ce qui ne correspond pas à la définition de fin des travaux prévue à l’art. 2110 du Code civil du Québec, à savoir le moment où « l’ouvrage est exécuté et en état de servir conformément à l’usage auquel il est destiné ».

 

Pour la Cour, dans ce dossier, l’étape contractuelle correspondant le mieux à la définition légale de fin des travaux est la réception provisoire de ceux-ci, qui est définie au contrat comme le moment où les travaux prévus « ont été exécutés à la satisfaction des professionnels engagés sur le projet, que la valeur des travaux à corriger ne dépasse pas 0,5 % du montant du contrat de construction, que la valeur des travaux différés, s’il y a lieu, ne dépasse pas 5 % dudit contrat et que les travaux à corriger et différés n’empêchent pas l’ouvrage d’être prêt, en tous points, pour l’usage auquel il est destiné ».

 

Malheureusement pour Socam, comme la réception provisoire des travaux avait eu lieu plus de trois ans avant l’institution de son action, la Cour d’appel n’a pu que confirmer la prescription de son recours. 

 

Bien que la Cour d’appel ait assimilé fin des travaux et réception provisoire dans ce dossier, il est toutefois bon de rappeler que la détermination de ce moment charnière est purement factuelle, et ne correspondra pas nécessairement à cette étape sur un autre chantier. La prudence est donc de mise à ce niveau, et l’entrepreneur prudent a tout intérêt à instituer son recours plus tôt que tard.

 


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