Au cours des dernières années, plusieurs organisations et entreprises ont amorcé (ou amorceront dans un avenir rapproché) des restructurations visant la création de nouvelles unités administratives plus petites, plus mobiles et plus autonomes en ce qui a trait à leur pouvoir décisionnel. Les employés formant ces unités sont de plus en plus perçus comme étant un capital intellectuel de grande valeur et les tâches qui leur sont confiées appartiennent essentiellement au domaine du « knowledge work » 1 Sans pour autant être totalement nouveau, ce contexte socioéconomique force désormais les professionnels appelés à imaginer des environnements de travail performants à s'intéresser à des éléments de conception de plus en plus spécifiques.
Innovation
L'importance d'offrir des aménagements performants conférant efficience et agilité aux équipes de travail n'est plus à démontrer, particulièrement pour les organisations à la recherche d'innovation et de créativité. Tant souhaitée, cette capacité à innover est étroitement liée à l'organisation spatiale et aux patterns d'utilisation des aménagements offerts aux occupants 2 Dans les faits, l'innovation et la créativité sont généralement le fruit d'interactions non planifiées, de rencontres fortuites face-à-face entre les membres d'équipes de travail qui ne sont parfois pas appelés à travailler ensemble de prime abord. La capacité d'un environnement à générer ou du moins à encourager ce genre d'interaction peut être évalué et quantifié en termes d'interconnexions, une notion abondamment utilisée en syntaxe spatiale.
Syntaxe spatiale
Développée par un groupe de recherche de la Bartlett University College of London au tournant des années 1970 et reprise au fil des années par plusieurs autres chercheurs et concepteurs, la syntaxe spatiale propose un cadre méthodologique et analytique destiné à l'étude des liens unissant les occupants et leur environnement physique, et ce, en envisageant simultanément le milieu construit (urbanisme, bâtiment, aménagements intérieurs, etc.) et le facteur humain.3 Elle permet ainsi de formuler des hypothèses sérieuses quant au comportement social d'un groupe au sein d'un environnement donné, entre autres, en permettant l'analyse des principaux éléments influençant les rencontres spontanées entre collègues, soit les distances de parcours, la visibilité et l'intégration des espaces.4 En bref, la syntaxe spatiale se veut un outil d'aide à la décision permettant aux architectes et designers de simuler les impacts de l'organisation spatiale des espaces qu'ils imaginent afin d'optimiser ces derniers. Pour ce faire, les professionnels disposent de logiciels (tel que depthmapX)5 leur permettant de conduire une analyse spatiale complète de leur projet à partir de simples plans CAD.
Malgré les belles possibilités offertes par la syntaxe spatiale, celle-ci a été relativement peu utilisée dans le cadre de travaux de recherche et de conception visant l'optimisation des interactions au sein des environnements de travail. Ceux qui l'ont fait ont toutefois conduit à des résultats intéressants. C'est le cas entre autres des travaux menés par Toker et Gray 6 qui ont démontré que des centres de recherche universitaires qui sont caractérisés par des distances de parcours réduites ainsi que des configurations spatiales favorisant l'accessibilité aux espaces et aux collègues avaient de fortes chances de maximiser le nombre de discussions face-à-face, l'échange de connaissances entre les occupants et, par le fait même, la probabilité d'innovation. Au passage, soulignons aussi les travaux de Rashid et al.7 qui, par le biais d'une étude utilisant les théories et les techniques appartenant au domaine de la syntaxe spatiale, ont permis d'esquisser les bases d'un modèle théorique expliquant l'impact des aménagements sur le niveau d'interaction au sein de divers édifices à bureaux.
Prometteurs, les résultats issus de ces travaux laissent croire que la prise en compte des principes propres à la syntaxe spatiale lors de la conception pourrait bonifier significativement la qualité des milieux de travail ainsi que leur propension à favoriser des interactions « payantes » pour les entreprises.
1. Rashid, M. et al. (2006) Spatial layout and face-to-face interaction in offices - a study of the mechanisms of spatial effects on face-to-face interaction, Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 33, no. 6, pp. 825-844.
2. Penn, A., Desyllas, J. et Vaughan L, (1997) The space of innovation, in Proceedings of the Space Syntax First International Symposium Space Syntax Laboratory, University College London, London, vol. 1, pp. 12.1- 2.24
3. Letesson, Q. (2009) Du phénotype au génotype: analyse de la syntaxe spatiale en architecture minoenne, Thèse de doctorat, Presses Universitaires de Louvain.
4. Tooren, W. (2012) How to Create Office Layout that Stimulate Collaboration? En ligne au http://www.united-academics.org/journal/wp-content/uploads/2012/03/2.-Article-One-Wouter-Tooren.pdf (consulté le 29 juillet 2013)
5. Pour plus de détails sur ce logiciel, voir http://www.spacesyntax.net/software/
6. Toker, U. et Gray, D. (2008) Innovation spaces: Workspace planning and innovation in U.S. university research centers, Research Policy, vol. 37, no. 2, pp. 309-329.
7. Rashid, M. et al. (2006) Spatial layout and face-to-face interaction in offices - a study of the mechanisms of spatial effects on face-to-face interaction, Environment and Planning B: Planning and Design, vol. 33, no. 6, pp. 825-844.
L’auteur est stagiaire en architecture chez Coarchitecture (anciennement Hudon Julien Associés), bénévole au sein de la section du Québec du CBDCa et membre de ECOOP, une coopérative offrant divers services de consultation en science du bâtiment.
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 1er août 2013 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !