L’absence de dénonciation en cas de confusion quant à l’identité du propriétaire ne constitue pas une fin de non recevoir à l’institution d’un recours judiciaire par un sous-traitant ou un fournisseur de matériaux.
Le 22 avril dernier, la Cour d’appel, dans le cadre de la décision Martin FFP inc. c. 9034-3948 Québec inc.[1], confirmait qu’il n’est pas nécessaire pour un sous-traitant ou un fournisseur de matériaux de dénoncer le contrat lui ayant été octroyé au propriétaire de l’immeuble, et ce, lorsqu’il existe une confusion quant à l’identité de ce propriétaire ou encore, lorsque ce dernier a pris une part active dans la conduite des travaux.
Les faits
Martin FPP inc. est propriétaire de trois quadruplex dans la ville de Magog. Plusieurs sous-traitants et fournisseurs de matériaux publieront des avis d’hypothèque légale sur ces immeubles, le cout de leurs travaux demeurant impayé. Les immeubles seront ainsi grevés d’hypothèques légales totalisant près de 500 000,00 $.
Martin FPP inc. conteste la validité de ces hypothèques légales au motif que les sous-traitants et fournisseurs de matériaux visés auraient négligé de lui dénoncer leurs contrats respectifs.
Dans le cadre de la construction de ces immeubles, les services des sous-traitants et fournisseurs de matériaux ont été retenus par l’entremise de M. Serge Boucher, gestionnaire de projet. Il existait une ambiguïté quant à l’identité de la société ayant retenu les services de M. Boucher. D’un côté, Martin FPP inc., dont M. Pierre-Olivier Martin est seul actionnaire et administrateur, alléguait que les services de M. Boucher avaient été retenus par une société affiliée, à savoir Bâtiment DMP, si bien qu’une dénonciation devait lui être adressée par chacun des sous-traitants. Bâtiment DMP était détentrice d’une licence d’entrepreneur général délivrée par la Régie du bâtiment du Québec, alors que Martin FPP inc. ne l’était pas. De l’avis du propriétaire, il devenait alors manifeste que le contrat de gestion de projet avait été octroyé à M. Boucher par Bâtiment DMP, une telle licence étant requise pour procéder à la construction des immeubles.
À l’inverse, le gestionnaire de projet ainsi que les sous-traitants plaidaient que M. Boucher avait contracté directement avec Martin FPP inc. et qu’il était alors mandataire de la société propriétaire des immeubles. En conséquence, la transmission d’une dénonciation à l’endroit de Martin FPP inc. n’était alors pas requise aux fins de la publication d’un éventuel avis d’hypothèque légale.
Il est également à noter que certaines factures des sous-traitants et fournisseurs de matériaux avaient été adressées à Martin FPP inc. et d’autres, à Bâtiment DMP, sans commentaires de la part du propriétaire à cet égard.
La Cour supérieure, appelée à interpréter l’entente intervenue au terme de laquelle les services du gestionnaire de projet ont été retenus, a finalement conclu que M. Boucher avait fait affaire directement avec Martin FPP inc., propriétaire des quadruplex. Ainsi, les sous-traitants et fournisseurs de matériaux n’avaient pas à dénoncer leur contrat au propriétaire[2].
La décision
La Cour d’appel confirme que l’absence de dénonciation ne sera pas fatale, notamment lorsqu’il y a confusion quant à l’identité du propriétaire. En effet, la jurisprudence et la doctrine soutiennent qu’une dénonciation n’est pas nécessaire lorsqu’un entrepreneur contracte avec le représentant du propriétaire, son mandataire ou lorsqu’une confusion a été créée quant à l’identité dudit propriétaire.
En l’espèce, à supposer même que M. Boucher et les sous-traitants avaient contracté avec Bâtiment DMP, entrepreneur général, ils avaient toutes les raisons de croire qu’ils traitaient également avec le propriétaire des immeubles. En effet, la preuve a permis de révéler que M. Martin a poursuivi la construction des immeubles à travers les différentes entités sous son contrôle sans faire de réelle distinction entre chacune d’elles. Le financement de la construction était également assuré par des transferts de sommes entre les deux sociétés appartenant à M. Martin.
Vu la confusion entretenue par M. Martin, M. Boucher et les sous-traitants étaient justifiés de croire qu’elles traitaient directement avec le propriétaire.
La Cour d’appel rappelle également que l’absence de dénonciation ne sera pas fatale dans l’éventualité où le propriétaire a pris activement part à la conduite des travaux, comme c’était le cas en l’espèce
Conclusion
Il est bien établi que le principe est à l’effet que la transmission d’une dénonciation au propriétaire est un prérequis à l’inscription d’un avis d’hypothèque légale, d’un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire puis ultimement, à l’institution d’un recours portant, par exemple, sur la vente de l’immeuble visé par les travaux. Le présent arrêt permet de réitérer les exceptions à un tel principe. Bien que la prudence commande la transmission d’une dénonciation au propriétaire, les entrepreneurs n’ayant transmis aucune dénonciation ne verront pas les chances de succès de leurs recours anéantis lorsqu’une confusion quant à l’identité du propriétaire aura été entretenue par ce dernier.
Pour questions ou commentaires, vous pouvez joindre Me Evelyne Morin par courriel à evmorin@millerthomson.com ou par téléphone au 514.871.5378.
Cet article est paru dans l’édition du 23 septembre 2021 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous.