Changer sa culture d’entreprise pour réduire les accidents de travail

6 octobre 2022
Par Isabelle Pronovost

Plusieurs efforts ont été consentis au cours des dernières décennies pour réduire les accidents de travail, avec un certain succès. Pour aller encore plus loin, il est peut-être temps d’implanter une véritable culture de prévention dans les entreprises en construction.

Dans le domaine de la santé et sécurité, le concept de culture de prévention est assez récent. « Il y a 50 ans, un travailleur se faisait couper un bras dans un milieu industriel et devenait ensuite un agent de promotion en santé et sécurité en montrant aux autres ce qui pouvait arriver. C’était assez clair comme message, mais pas très élaboré », raconte Luc Boily, directeur de la Prévention santé et sécurité à l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ).

 

Luc Boily, directeur de la Prévention santé et sécurité à l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec. Crédit : ACRGTQ

 

Par la suite, les lois ont changé, notamment en permettant aux ouvriers de refuser de travailler s’ils percevaient un danger. Puis des programmes de prévention ont été mis sur pied, dans lesquels une multitude de risques et de mesures à prendre pour les éviter étaient décrits. Le problème ? Ces programmes étaient conçus en vase clos dans des bureaux et l’information se rendait rarement aux travailleurs. Pour instaurer une véritable culture de prévention, il doit certes y avoir un engagement fort de la direction, croit Luc Boily, mais cette dernière doit ensuite convaincre chacun des rouages de l’entreprise d’y adhérer, qu’il s’agisse des directeurs de projets, des surintendants et, surtout, des travailleurs.

 

Légitimer la communication

La première étape consiste donc à dresser un portrait des incidents qui sont survenus, incluant les situations à haut potentiel d’accident — les « passé proche » —, par exemple une pièce qui est tombée du troisième étage en ne frappant heureusement personne. Parce qu’une culture de prévention, c’est avant tout prévenir les dangers avant qu’ils se manifestent, explique Sylvie Boucher, consultante principale en management de la santé et sécurité au travail. Une façon de le faire consiste à tenir de courtes réunions chaque matin avant d’entamer les travaux : quels sont les dangers, de quel équipement a-t-on besoin pour se protéger, les appareils sont-ils fonctionnels ? La communication constitue un élément clé : « Il faut légitimer les employés de parler de santé et sécurité », insiste Sylvie Boucher.

 

Sylvie Boucher, consultante principale en management de la santé et sécurité au travail. Crédit : Sylvie Cadieux, Service audiovisuel CIEMTL

 

La prévention touche divers aspects d’un chantier. Pour Luc Boily, le travail doit aussi se faire en amont, dès la conception. Il donne l’exemple de délais irréalistes ou d’oubli de prévoir des ancrages auxquels les travailleurs pourront s’attacher. « Une conception déficiente fait en sorte que tu ne seras pas en train d’assembler des morceaux sur le chantier, mais de corriger des erreurs qui ont été faites lors de la conception. Ça, c’est propice aux accidents de travail, témoigne-t-il.

 

Favoriser la formation

Il désigne aussi la formation des travailleurs comme un élément essentiel à la prévention des accidents. Selon lui, les centres de formation professionnelle n’offrent pas suffisamment d’heures de cours sur le sujet. « Par contre, ce qui est intéressant, c’est que s’il y a une culture solide qui est en place dans l’entreprise, les personnes qui arrivent vont regarder ce que les autres font, ils vont être guidés », rapporte-t-il. Sylvie Boucher croit aussi à l’importance de la formation : une entreprise qui se soucie du bien-être de ses employés s’assurera que ces derniers savent comment bien faire leur travail, en leur demandant par exemple s’ils sont à l’aise d’utiliser un nouvel outil ou appareil. Dans le cas contraire, l’employeur pourra faire une courte démonstration ou attribuer un mentor lorsque le déficit de connaissances est plus important.

 

Enfin, pour éviter les accidents, il faut aussi faire l’entretien préventif des équipements, indique cette dernière. Ces mesures ont évidemment un cout qui, selon Luc Boily, est toutefois moins élevé que celui associé aux lésions professionnelles. En outre, lorsque les employés sont adéquatement formés et qu’ils utilisent des outils bien entretenus, on observe un gain de productivité. Mais hormis l’aspect financier, un grand nombre d’accidents pourrait nuire à la réputation d’une entreprise, s’entendent les deux experts interrogés. En cette époque où les travailleurs sont une denrée rare, avoir une mauvaise feuille de route à ce chapitre pourrait les inciter à aller voir ailleurs. La consultante en santé et sécurité soutient qu’investir en prévention fait en sorte que « tu y gagnes et tu te ramasses avec des employés qui aiment travailler et qui se sentent aussi protégés par leur entreprise ».

 

Sur la bonne voie

Luc Boily trouve que l’industrie de la construction est sur la bonne voie en matière de prévention des accidents. Leur baisse en nombre absolu est d’autant plus impressionnante que les heures travaillées n’ont jamais été aussi élevées. Il reste toutefois du chemin à faire. Sylvie Boucher remarque que les grosses entreprises en général se préoccupent de santé et sécurité, mais que c’est parfois chez les sous-traitants que le bât blesse. Elle craint que l’information ne passe pas toujours entre le maitre d’oeuvre du chantier et les sous-traitants qu’il embauche, et que c’est justement chez ces derniers que les incidents se produisent le plus souvent.

 

À cet égard, le directeur de la prévention à l’ACRGTQ souhaiterait plus d’uniformité sur les chantiers. Il donne l’exemple de la pratique qui consiste à stationner les véhicules à reculons de façon à pouvoir partir plus rapidement et sans risque d’écraser quelqu’un en cas d’évacuation d’urgence. Si certains donneurs d’ouvrage l’exigent et d’autres non, il se crée une confusion chez les travailleurs. « Les choses qui sont pareilles devraient être faites pareilles partout. Ça, c’est la base », estime-t-il. Il croit d’ailleurs que les grands donneurs d’ouvrage institutionnels ont une responsabilité à cet égard.

 

« Quand les gros se lèvent et disent OK, on donne le ton", cela a un effet d’entrainement sur les autres. C’est plus facile pour les entrepreneurs de mettre ça en place dans leur entreprise quand tous les donneurs d’ouvrage sont à peu près au même niveau et veulent tous ces standards élevés en termes de prévention. »

 

Implanter une culture de prévention est l’affaire de tous : concepteurs, donneurs d’ouvrage, maitres d’oeuvre, entrepreneurs et travailleurs. Ils ont des responsabilités et rôles différents et ils doivent les jouer pleinement pour que toute l’industrie y gagne. « Parce qu’une chaine n’est jamais plus forte que le plus faible de ses maillons », conclut Luc Boily.

 

QU’EN EST-IL DES BLESSURES PSYCHOLOGIQUES ?

Intégrer la prévention à sa culture d’entreprise

 

Lorsqu’on parle de santé et sécurité, les dangers physiques viennent spontanément en tête, les risques psychologiques un peu moins. Sylvie Boucher pense qu’un entrepreneur qui souhaite instaurer une culture de prévention au sein de son entreprise devrait aussi s’enquérir du bien-être psychique de ses employés. Y a-t-il présence de harcèlement ? Les équipes de travail ont-elles un bouc émissaire ou un souffre-douleur sur lequel elles s’acharnent ? Est-ce que des surnoms dégradants circulent ? Selon elle, l’entreprise qui s’investit dans une telle démarche devrait prendre un engagement à offrir un milieu de travail sûr et sain, à respecter les gens qui viennent travailler pour elle. Parce qu’en fin de compte, « une culture de prévention, c’est prendre soin de ses employés ».