La diversité sur les chantiers : encore à bâtir

11 janvier 2022
Par Elizabeth Pouliot

L’industrie de la construction, au Québec, demeure encore aujourd’hui plutôt blanche, masculine et hétéronormative. Les femmes, les autochtones, les personnes issues des communautés culturelles ou LGBTQ+ peinent à y faire leur place. Comment en intégrer davantage et surtout comment les convaincre de rester sur les chantiers ? Tour d’horizon de la diversité en construction et petit mode d’emploi pour y parvenir.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, on estime à environ 4 % le nombre de personnes issues de l’immigration parmi la main-d’oeuvre québécoise de la construction. Le calcul descend à 3 % pour les personnes en situation de handicap et à 2,7 % pour les femmes. Il remonte à 5 % pour les personnes s’identifiant à la communauté LGBTQ+ pour ensuite replonger à 0,66 % en ce qui concerne les Autochtones. « Le portrait n’est pas joli, mais il faut mettre ces données en perspective, car on a tout de même fait des progrès », note Diane Lemieux, présidente-directrice générale de la Commission de la construction du Québec (CCQ).

 

En effet, entre 2015 et 2020, le nombre de femmes en construction, par exemple, aurait plus que doublé, passant de 2 223 à 4 800. « La bonne nouvelle, c’est qu’on a la possibilité d’aller chercher des gens qui sont différents de la majorité masculine, francophone et blanche, de les intéresser aux métiers de la construction et de leur offrir des emplois intéressants. Il faut le voir positivement. »

 

La construction au féminin

Si ça se passe relativement bien sur les bancs d’école pour les femmes, la situation se corse lorsqu’elles atterrissent sur les chantiers. Elles font face, encore à ce jour, à de la discrimination, à du harcèlement, à des difficultés d’intégration et à un manque de reconnaissance de leurs compétences. Sans compter les conditions de travail difficiles et le peu de conciliation travail-famille qu’offrent les métiers de la construction. Les jeunes sont souvent plus ouverts à accueillir leurs acolytes féminines, tout comme les citadins, mais les travailleurs plus expérimentés ou évoluant en région résistent encore à inclure les femmes.

 

Josée Dufour, entrepreneure générale de formation et présidente du conseil d’administration des Elles de la construction. Crédit : Gracieuseté

 

Des mesures sont en place pour faciliter la situation, telles qu’une obligation pour les entrepreneurs de lire les curriculums des travailleuses en premier. « Par contre, il n’y a aucune obligation de les embaucher », précise Josée Dufour, entrepreneure générale de formation et présidente du conseil d’administration des Elles de la construction. « Souvent, elles vont avoir de la difficulté à aller chercher leurs heures, comparativement à un homme qui a le même métier et la même expérience. » Lors de l’obtention de contrats, elles seraient aussi les dernières appelées sur le chantier et les premières à le quitter. Pour l’heure, 22 % des femmes abandonneraient le métier après un an, et 54 % après cinq ans. Josée Dufour propose une formation sur la mixité en chantier à la CCQ. « Car il y a d’abord un changement de mentalité à apporter dans la vision des gens », dit la formatrice. Ces programmes demeurent toutefois optionnels.

 

Fierté et chantiers

Pour leur part, les personnes issues des communautés LGBTQ+ subissent souvent des représailles, sont victimes de railleries ou perdent carrément leur emploi si elles décident de vivre ouvertement, sur les chantiers, leur identité sexuelle ou de genre ou d’exposer leur orientation sexuelle. « Malheureusement, il y a des secteurs comme la construction où règne une masculinité toxique », avance Nicolas Wegel, entrepreneur général. « Je trouvais ça inacceptable qu’on juge les compétences de quelqu’un en fonction de sa sexualité. »

 

Nicolas Wegel, entrepreneur général. Crédit : Gracieuseté

 

Avec son partenaire d’affaires, il fonde alors EAC Construction, « la première et seule entreprise ouvertement inclusive au Canada ». Ils y recrutent autant les hommes et les femmes que les personnes issues des communautés LGBTQ+ ou culturelles et leur assurent un milieu de travail sécuritaire où ils pourront être acceptés et validés dans leurs compétences. « Tous les employés qui commencent, on leur explique dans quelle entreprise ils entrent. Ils sont ensuite encouragés à nous faire part des situations problématiques qui pourraient se produire. Puis, pour toute remarque homophobe ou sexiste, ils ont droit à trois avertissements avant d’être licenciés », explique Nicolas Wegel. Sur les chantiers, plusieurs personnes ressources sont désignées, multipliant les chances de trouver quelqu’un avec qui on est à l’aise de parler. « Généralement, on intervient dans les 24 heures pour vider toutes les frustrations. »

 

Pour l’instant cependant, la position qu’a choisi d’adopter l’entreprise réduit son bassin de personnel potentiel. « Quand on annonce à un postulant qu’on est une entreprise ouvertement inclusive et qu’il devra travailler avec la communauté LGBTQ+, généralement, il disparaît. » L’éducation et le changement des mentalités, comme avec les femmes, pourront changer les choses, croit aussi Nicolas Wegel. L’entrepreneur général travaille d’ailleurs auprès de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) pour mettre sur pied une formation englobant la gestion des minorités.

 

Tendre la main aux Autochtones

Ne représentant qu’un maigre 0,66 % des travailleurs sur les chantiers québécois et un timide 5,2 % sur les chantiers canadiens, les Autochtones sont néanmoins 1,6 million au pays, répartis parmi 634 communautés des Premières Nations à travers le Canada. Et la moitié d’entre eux ont moins de 25 ans !

 

Lionel Drouin, président de LDC Solutions. Crédit : Chi Meegwich

 

« La démographie parle d’elle-même. Il faut développer une relation avec ces communautés », souhaite Lionel Drouin, président de LDC Solutions. Membre de la communauté métis Red Sky, Lionel Drouin se spécialise en réconciliation et en inclusion autochtones. « Il y a des problèmes géographiques, avec les réserves souvent éloignées, et il y a des problèmes d’éducation », croit-il. Diane Lemieux de la CCQ abonde dans le même sens : « Compléter la formation, c’est un enjeu notamment pour les Autochtones, d’autant plus qu’ils n’ont pas souvent les prérequis. On tourne en rond, il va falloir dénouer cela. »

 

Diane Lemieux, présidente-directrice générale de la Commission de la construction du Québec.  Crédit : CCQ

 

Alors, comment inclure davantage de membres des Premières Nations en construction ? « Il faut développer un nouveau mode d’inclusion, explique Lionel Drouin. Pour les entrepreneurs, examinez vos politiques, vos pratiques, notez vos obstacles à l’emploi à travers le prisme des peuples autochtones. Puis, lorsque vous contactez une communauté, comprenez d’abord son histoire, son étiquette et l’approche à adopter pour entrer en communication avec elle. » Et une bonne façon d’y arriver pourrait être de consulter un membre des Premières Nations dans le processus, croit le président de LDC Solutions, tout comme d’ajuster ses protocoles et de préparer les membres de son équipe à accueillir cette nouvelle personne adéquatement.

 

Que l’on parle des femmes, des personnes issues de la communauté LGBTQ+ ou des membres des Premières Nations, ce sont tout autant de bassins de main-d’oeuvre qui attendent seulement qu’on leur ouvre les portes de la construction. En plus de pallier la pénurie de main-d’oeuvre, inclure les minorités dans les chantiers apporte de nombreux autres avantages, comme la multiplication des perspectives et des manières de travailler. « L’avantage réel, c’est de voir une évolution du climat de travail », croit Josée Dufour. « Quand tu as des femmes sur un chantier, le climat est plus sain, les relations de travail sont facilitées. C’est sûr qu’il y a des obstacles, des préjugés, mais on peut juste avancer », soutient Diane Lemieux. Aujourd’hui, en effet, les entreprises qui incluent des femmes sont célébrées. La CCQ fait le pari qu’il en sera éventuellement ainsi pour les autres minorités. En attendant, des entreprises comme Les Elles de la construction, EAC Construction et LDC Solutions tiennent le fort, convaincues de la compétence et de la motivation des travailleurs et des travailleuses issus de la diversité.