L'ouverture des bassins signifie souvent l'entrée d’une main-d’oeuvre moins qualifiée sur les chantiers, ce qui peut engendrer une augmentation des risques en matière de santé et sécurité.
« Le caractère évolutif des chantiers, qui se transforment selon la conjoncture économique et la disponibilité de la main-d’oeuvre, oblige les employeurs et les travailleurs à s’adapter continuellement », nous fait remarquer la CNESST. Afin de pallier la pénurie de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction, la Commission de la construction du Québec (CCQ) a mis en place en 2021 des mesures visant à en contrer les effets, dont l’ouverture des bassins de différentes occupations, selon les régions. Cette ouverture s’effectue généralement lorsqu’il y a une pénurie, c’est-à-dire lorsque l’on compte moins de 5 % des détenteurs d’un certificat de compétence apprenti ou occupation disponibles pour la région et le métier ou occupation concernés. Seuls les employeurs garantissant 150 heures de travail sur trois mois peuvent réserver une place lorsque le bassin est ouvert.
Cette mesure, bien qu’elle vienne en aide aux entrepreneurs qui cherchent des employés, a pour effet d’intégrer des travailleurs moins qualifiés sur les chantiers : « On voit de plus en plus de projets, avec de moins en moins de main-d’oeuvre pour être capable de les livrer à temps. Pour combler ce besoin-là, on fait entrer beaucoup de travailleurs dans l’industrie de la construction qui ne possèdent pas de diplôme et qui, du jour au lendemain, deviennent des travailleurs de la construction », explique Simon Lévesque, responsable en santé et sécurité du travail, à la FTQ-Construction.
Des risques accrus
L’évolution du marché du travail et les besoins grandissants de main-d’oeuvre se répercutent effectivement sur les risques en matière de santé et de sécurité du travail. Malgré le déploiement d’efforts en prévention par les différents acteurs du marché du travail et la CNESST, une augmentation du nombre de lésions professionnelles serait effectivement observée, et ce, depuis 2017 : « Ce phénomène n’est pas unique au Québec. D’autres provinces canadiennes connaissent la même situation. Cette recrudescence du nombre de lésions professionnelles peut s’expliquer, du moins en partie, par la conjoncture économique et démographique du Québec, qui se traduit notamment par la transformation rapide du marché du travail et un renouvellement important de la maind’œuvre », souligne la CNESST.
Avec un taux de chômage exceptionnellement bas, le vieillissement de la population active, un nombre de postes vacants important et une économie qui bat son plein, le marché du travail est soumis à de fortes tensions. « Il y a ainsi de plus en plus de travailleuses et de travailleurs en situation de nouvel emploi, plus ou moins expérimentés, en mouvement d’un secteur à un autre. Ces situations augmentent malheureusement le risque de lésions ».
Et les répercussions de cette conjoncture sur la santé et sécurité, Simon Lévesque les observe quotidiennement : « Le nombre de lésions graves augmente effectivement. Le nombre de décès aussi. Autant par accident de travail que par maladie professionnelle. L’intégration de travailleurs non diplômés sur les chantiers, je la remarque par la nature des accidents de travail qui sont survenus. Dans bien des cas, si les travailleurs avaient été formés adéquatement, ils n’auraient pas posé le geste qui leur a créé une lésion », explique-t-il.
L’obtention de la formation et de toutes les connaissances nécessaires pour l’obtention d’un diplôme dans un métier ou une occupation permet effectivement de maitriser tous les éléments de leur poste, mais aussi bien souvent de reconnaitre les risques auxquels ils sont exposés. Car entrer sur un chantier en apprenant « sur le tas » oblige les travailleurs à apprendre de leurs erreurs, mais ces erreurs peuvent parfois s’avérer fatales. « D’autant plus que le collègue de ce travailleur, même s’il a des années d’expérience et qu’il possède toute la formation nécessaire, n’est pas nécessairement un bon pédagogue. Ça peut être la personne la plus qualifiée dans son métier, mais ça ne fait pas nécessairement d’elle la meilleure personne pour transmettre ses connaissances », fait remarquer Simon Lévesque.
Quelle solution ?
Lorsqu’on lui demande quelle serait la solution pour réduire les risques d’accidents sur les chantiers, sans pour autant évacuer les problèmes de pénurie de la main-d’oeuvre de l’équation, Simon Lévesque insiste que cette dernière réside au sein des écoles et de la formation. « Il faut développer des écoles pour être capable de donner plus de formations, avoir plus de diplômes d’études professionnelles (DEP), augmenter le nombre de cohortes et recruter en masse. Ça ne peut être que la réponse. » Ce dernier souligne qu’actuellement, au contraire, certains étudiants prennent la décision de quitter leur DEP afin d’entrer sur le marché du travail, plusieurs employeurs étant prêts à les embaucher immédiatement en raison du manque de travailleurs.
Il faut dire que la fermeture intermittente des centres de formation professionnelle et l’application des mesures sanitaires en lien avec la pandémie de COVID-19 ont nécessairement eu un impact sur la formation des travailleurs de la construction. Plusieurs activités de perfectionnement ont dû être annulées, reportées ou encore offertes à un nombre restreint de travailleurs. « Malgré les nombreuses contraintes, plus de 19 000 travailleurs ont participé à une formation de la CCQ en 2021. Depuis la semaine dernière, plus de 500 formations du programme Fiers et compétents sont de nouveau offertes gratuitement dans le Répertoire des activités de perfectionnement 2022-2023 », nous indique, sur une note plus positive, la CCQ. Cette dernière souligne qu’aucun assouplissement n’a été apporté concernant les obligations de formation, qui demeurent les mêmes.
On remarque aussi que les employés non diplômés quittent l’industrie en plus grand nombre que les diplômés : « Les statistiques et les sondages nous démontrent effectivement que les employés ne possédant pas de formation quittent souvent l’industrie. C’est beau de les faire entrer ces gens-là, mais il faut aussi se demander pourquoi ils quittent », nous explique Simon Lévesque. Nombre de non-diplômés affirmeraient avoir déserté l’industrie de la construction en raison du climat de travail sur les chantiers. D’autres auraient quitté en raison du non-respect de certaines mesures de santé et de sécurité. « Il faut donc aussi faire des efforts pour améliorer le climat de travail et écouter les préoccupations des travailleurs pour être capable d’assurer leur rétention au sein de l’industrie », conclut-il.
L’ouverture des bassins n’a rien d’inhabituel. Cependant l’ouverture dans certains secteurs particulièrement spécialisés peut surprendre : « On ouvre les bassins dans des secteurs où ça n’a jamais été vu. Ce n’est pas hors du commun, par exemple, pour une occupation comme manoeuvre que les bassins ouvrent, ou comme charpentier-menuisier. Mais, maintenant, on le voit dans d’autres secteurs, comme chez les ferblantiers ou chez les mécaniciens d’ascenseurs, entre autres. On fait donc désormais entrer des travailleurs dans ce type de métiers qui demandent beaucoup de formation et où on compte le plus grand nombre d’heures d’apprentissage avant de devenir compagnon. »
Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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