Prévisions de la CCQ : des perspectives optimistes pour 2022

23 mars 2022
Par Sandra Soucy

L’année 2021 aura permis à l’industrie de la construction d’atteindre des sommets sans précédent avec un nombre total de 197,5 millions d’heures travaillées, soit le volume de travail le plus élevé de son histoire, pulvérisant le dernier record de 177 millions d’heures enregistrées en 2019. Et à en croire les prévisions de la CCQ, les perspectives demeurent des plus optimistes pour l’année en cours.

Pas de doute, le contexte s’avère favorable pour la filière du bâtiment au Québec cette année, et ce, plus particulièrement dans les secteurs commercial et institutionnel. Selon Mélanie Ferland, auteure du rapport des perspectives économiques de la CCQ, rien de cela n’était prévisible à l’automne 2020, en plein coeur de la pandémie, alors que régnait l’incertitude et que les prévisions annonçaient un retour graduel à la normale.

 

« Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé, s’exclame-t-elle. Les choses se sont replacées très vite! La raison de cette accélération? On la retrouve principalement du côté de l’institutionnel avec le plan de relance très ambitieux du gouvernement provincial qui a mis l’accent sur les infrastructures, notamment dans les domaines de la santé et de l’enseignement. En comparaison, le secteur commercial se replace graduellement par rapport à l’année 2019, bien qu’il n’ait pas retrouvé sa pleine vitesse de croisière. »

 

Éric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ). Crédit : Photographes commercial

 

Malheureusement, le secteur industriel a particulièrement fait les frais de la pandémie, ayant vu l’annulation ou le report de plusieurs projets. Malgré tout, comme le souligne Mélanie Ferland, plusieurs grands chantiers ont été complétés au cours de la dernière année avec une accumulation de 11 millions d’heures travaillées, ce qui signifie une augmentation de 20 % par rapport à 2020 avec ses 9,5 millions d’heures travaillées. Ce niveau d’activité demeure toutefois inférieur à celui qui a été observé en 2019 avec un total de 12 millions d’heures à son actif.

 

L’auteure du rapport des perspectives économiques de la CCQ estime qu’il y a de bonnes raisons de croire que l’activité poursuivra légèrement sa hausse en 2022 avec une prévision de 12 millions d’heures travaillées qui s’appuie sur l’arrivée de projets considérables, comme la construction d’une usine commerciale de transformation graphite par Nouveau Monde Graphite et l’expansion de l’usine de fabrication de papier tissu de Produits Kruger.

 

Un marché en pleine lancée

Autant dire que les perspectives concernant l’ensemble de l’industrie de la construction sont plutôt encourageantes pour les années à venir; celle-ci, qui plus est, a vu son nombre de salariés grimper à 189 000 en 2021, un record si l’on compare aux 177 500 recensés en 2020. « Il ne s’agit pas tant de gros projets, bien qu’on en compte plusieurs, mais plutôt d’une situation de projets multiples à travers la province, notamment d’agrandissements d’écoles, de rénovations, de constructions de maisons des ainés, de CHSLD, tient à préciser Mélanie Ferland. Et du côté du génie civil, nous ne pouvons passer sous silence l’imposant projet du REM qui à lui seul frôle les sept milliards de dollars. »

 

Le défi du marché du bâtiment

Mais alors que le dynamisme du secteur s’active, les difficultés de recrutement s’intensifient. Le Québec bénéficiant d’un taux de chômage très bas, l’heure est à la prudence et requiert une attention particulière envers la rétention des travailleurs. Pour combler les besoins et répondre à la demande provoquée par la hausse des chantiers, l’une des pistes de solution consiste à recruter parmi les groupes sous-représentés, notamment auprès des femmes, de membres des Premières Nations et de minorités visibles, fait valoir Mélanie Ferland.

 

Christian Tétreault, directeur relations du travail et affaires juridiques à l'Association des constructeurs de route et grands travaux du Québec (ACRGTQ). Crédit : ACRGTQ

 

Pour Christian Tétreault, directeur, relations du travail et affaires juridiques à l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ), il ne fait pas de doute qu’en termes d’attractivité, il faut solliciter et intégrer tout le bassin de main-d’oeuvre issu de la diversité culturelle. « Il y a certes certains programmes qui ont été mis en place et qui ont donné des résultats, mais il y a encore du travail à faire, estime-t-il. On a beau vouloir inciter des gens à faire carrière dans l’industrie de la construction, mais encore faut-il qu’ils aient la possibilité que cela leur soit accessible. »

 

Pour Éric Côté, président-directeur général de la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ), il s’agit d’une tempête parfaite. « Nous sommes vraiment dans une situation où jamais il n’y a eu autant de travail. Le secteur de la construction attire des travailleurs, mais pas assez pour fournir à la demande. Malheureusement, cette pénurie ne semble pas être à court terme, mais plutôt une tendance lourde puisque plusieurs milliers de travailleurs manquent à l’appel pour couvrir tout le travail à accomplir dans une perspective de 5 à 10 ans. Alors, il faut imaginer des solutions. »

 

Les assouplissements apportés par le gouvernement sur la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction, communément appelée loi R-20, dont les huit mesures entrées en vigueur en avril 2021, permettront d’augmenter la disponibilité de la main-d’oeuvre sur les chantiers. Une solution qui, à première vue, semble salutaire aux employeurs, fait aussi remarquer le directeur de l’ACRGTQ. Néanmoins, bien que l’on rende l’industrie de la construction plus attrayante et que l’on en facilite l’accessibilité en assouplissant les règles, encore faut-il être en mesure d’y retenir les gens, souligne-t-il. « L’étude qui a été menée par la CCQ il y a quelques années révèle que 35 % des gens qui ont obtenu un certificat de compétence pour travailler dans l’industrie l’ont abandonnée au cours des cinq premières années suivant leur intégration. »

 

Et cela touche particulièrement les femmes, renchérit Éric Côté, qui croit qu’il faudra de plus en plus investir dans la rétention pour remédier à la situation. « On aura beau instaurer toutes les mesures qui soient, si ça rentre d’un côté et que ça sort de l’autre, cela se traduit malheureusement par beaucoup de temps, d’énergie, d’investissements et d’argent jetés littéralement par les fenêtres, se désole-t-il. »

 

Pour maintenir sa main-d’oeuvre, la CEGQ met en oeuvre diverses actions ayant pour intérêt d’inverser la tendance, dont une formation aux entrepreneurs très attendue qui vise à prévenir le harcèlement psychologique. « Tout cela passe inévitablement par l’éducation », soutient Éric Côté.

 

Un secteur qui tient tête aux difficultés

Doit-on craindre que l’industrie ne puisse répondre à la demande ? « Plutôt préoccupant, affirme Éric Côté. Si on n’a plus la capacité, cela veut dire que le gouvernement va lever le pied sur les projets. Cela est bien connu, les investissements publics ont un effet sur les investissements privés. Si le gouvernement arrête d’investir dans les écoles, dans les hôpitaux ou qu’il diminue sa contribution, ça envoie un signal aux gens qui investissent dans le secteur privé que nous pourrions aussi commencer à ralentir. »

 

Christian Tétreault est bien d’accord : « Cela reste inquiétant, et les employeurs devront une fois de plus faire preuve de créativité en 2022. Cependant, avec un pas de recul, je me dis que si nous avons réussi à passer à travers tant bien que mal en 2021, alors je crois qu’avec la prédiction d’augmentation de 1 % d’heures travaillées en 2022 de la CCQ, les employeurs devraient être capables de répondre à la demande. Le défi est toujours là, mais il sera de toute évidence moins complexe que celui qu’on a eu en 2021. »