Biodôme 2.0 : un habitat grandeur nature

6 novembre 2020
Par Marie Gagnon

Plusieurs défis ont pimenté la cure de jeunesse du Biodôme. Notamment sur le plan de l’ingénierie. Les artisans de Migration, un projet de 37 millions de dollars visant à donner un nouveau souffle au Biodôme de Montréal, peuvent dire mission accomplie.

Après deux ans de travail soutenu, ils ont réussi à rétablir le dialogue entre le Biodôme et l’ancien vélodrome. Et à offrir aux visiteurs une expérience renouvelée, fondée sur une multiplicité de parcours et des points de vue inédits sur les cinq écosystèmes qu’abrite, depuis 1992, le bâtiment hérité des Jeux olympiques de 1976.

 

On se souviendra que Migration, un projet porté par Kanva, NCK et BPA, a été retenu au terme d’un concours international d’architecture lancé en 2014 afin de remodeler cette attraction phare d’Espace pour la vie. « Le but, c’était de bonifier l’expérience des visiteurs et d’ouvrir des perspectives sur l’architecture d’origine, caractérisée par des lanterneaux, des arches et de très grandes portées », explique Jean Bouvrette, ingénieur, chef de division, projets sécurité publique et Espace pour la vie à la Ville de Montréal.

 

Deux gestes architecturaux

Dans les faits, le concept de Migration se résume à deux grands gestes architecturaux, explique Rami Bebawi, cofondateur de Kanva. D’une part, créer un noyau pour accéder aux différents écosystèmes et dégager l’architecture – arches, consoles, lanterneaux – de l’ancien vélodrome. De l’autre, envelopper les écosystèmes d’une immense paroi blanche qui, par contraste, met en relief la structure du bâtiment d’origine. Avec, pour dénominateur commun, une notion d’immersion sensorielle avec le vivant.

 

Jean Bouvrette, chef de division, Sécurité publique et Espace pour la vie à la Ville de Montréal. Photo : Patrick Palmer

 

« On voulait rapprocher le visiteur des divers habitats, entre autres en exploitant les verticales, dit-il. D’où l’idée d’aménager un belvédère au niveau mezzanine auquel on accède par deux passerelles traversant la Forêt tropicale et le Golfe du Saint-Laurent. On voulait aussi créer une expérience biophilique en enveloppant les écosystèmes d’une paroi blanche translucide qui, dans un mouvement de compression et de décompression, guide le visiteur tout au long de son parcours. »

 

Un arrimage délicat

Si la relation symbiotique entre la nature, l’architecture et la muséographie semble ici aller de soi, on découvre bientôt que l’approche « art, sciences et émotions », adoptée par Migration pour reconnecter l’humain avec la nature, nécessite un arrimage technique délicat. Car réinventer le Biodôme, ce n’est pas seulement intervenir sur une entité vivante, c’est aussi travailler dans un bâtiment existant, avec lequel les concepteurs ont dû composer pour donner vie à leur projet.

 

Ce fut le cas notamment avec la mise en oeuvre de la fameuse paroi blanche, qui a donné lieu à une solution structurale inédite. Faite d’un polymère recyclable microperforé, cette paroi à double courbure composée de panneaux de 60 pieds sur 60 pieds est d’abord mise en forme sur un cadre d’aluminium pour atteindre la vision de l’architecte. Jusque-là, rien de bien compliqué. Sauf qu’il faut maintenant fixer la paroi à la structure du Biodôme. Et c’est là que les choses se corsent.

 

« Pour maintenir la paroi en place, on devait l’attacher à une structure d’acier, explique Vincent Brière, ingénieur en structure pour NCK. Là où ça se complique, c’est que les déplacements autorisés par le fabricant de la toile pour chaque potence d’acier la reprenant devaient se limiter à 6 mm sous charge, dans toutes les directions. La structure devait donc reprendre toutes les charges imposées par la toile, tout en limitant ses mouvements. L’utilisation des câbles d’acier au haut de chaque potence a permis de stabiliser le cadre d’acier dans son ensemble. »

 

En tout, près de 90 potences composent cette structure d’acier. Pour la plupart des tubes carrés HSS (Hollow Structural Section), dont les plus imposants font 305 millimètres de côté et atteignent jusqu’à 13 mètres de hauteur. Pour la partie belvédère, une trentaine de colonnettes servent à la fois de garde-corps et de système d’accroche, en autorisant un ajustement de rotation et translation selon les trois axes.

 

Golfe du Saint-Laurent Photo : Marc Cramer

 

« Parce qu’on devait suivre une forme bien définie et que les charges à reprendre au bout des potences d’acier pouvaient atteindre jusqu’à 20 kN, la conception des éléments structuraux d’acier a demandé une très grande précision, bien au-delà de celle habituelle pour l’acier structural, ajoute Vincent Brière. Pour garantir le niveau de précision souhaité, on a même modélisé tous les éléments de la structure dans un espace 3D. »

 

Un tunnel immersif

Pour pousser plus loin l’expérience immersive, Migration met également en scène un tunnel et un mur de glace entre l’écosystème des Îles subantarctiques et celui des Côtes du Labrador. Comme le rapporte Jean Bouvrette, cette attraction avait été proposée par les lauréats du concours d’architecture. « Sauf que les architectes n’avaient pas encore réfléchi sur le concept, dit celui qui est également ingénieur en mécanique. Avec mon équipe, on a donc réalisé un prototype et mené quelques essais. »

 

Les essais s’étant avérés concluants, un support métallique a été fabriqué au moyen de serpentins faits de tubes d’aluminium extrudés, dans lesquels circule du glycol à moins huit degrés Celsius. L’installation se complète d’un jeu de buses qui vaporisent de l’eau sur les serpentins frigorifiés, jusqu’à ce que la glace atteigne une épaisseur de 15 à 20 centimètres. Au final, le tunnel s’élève sur 5 mètres de haut et s’étire sur 15 mètres de long.

 

Fait à noter, cette structure de glace ne nécessite aucun équipement mécanique supplémentaire. En effet, entre 2008 et 2010 les systèmes mécaniques du Biodôme ont été modernisés afin de gagner en autonomie et en efficacité. Pour le chauffage et la climatisation, on compte maintenant sur une boucle géothermique ouverte, dont le coefficient de performance est de 3,5. Autrement dit, pour chaque kilowatt consommé, 3,5 kilowatts de chaleur sont produits.

 

Pour alimenter en froid les zones polaires, le Biodôme dispose en outre de quatre refroidisseurs de 1 600 tonnes chacun, combinés à un système de récupération de chaleur reliant les cinq écosystèmes. « Le bâtiment fonctionne comme un gros frigo, illustre Jean Bouvrette. Et le tunnel de glace en est le produit dérivé. Ensemble, ces systèmes ont permis de réduire la consommation énergétique du Biodôme de 50 pour cent (%) et ses émissions de gaz à effet de serre de 80 %. »

 

PENDANT QU’ON Y EST...

Les interventions réalisées au Biodôme entre mai 2018 et aout 2020 ne se limitaient pas seulement à la scénographie et aux expériences immersives. Elles incluaient également une mise à niveau complète de ses installations, dont certains éléments, comme les toilettes, le réseau électrique et le chauffage périphérique, dataient de 1976, sinon de 1992, année où le Biodôme a ouvert ses portes. Réalisé par la Ville de Montréal, ce programme de maintien a nécessité des investissements de 15 millions de dollars.