C’est bien connu, le chemin de fer de la Gaspésie est essentiel pour la vitalité économique de cette région péninsulaire. Il sillonne environ 325 kilomètres entre Matapédia et Gaspé. Au mois de mai 2015, le gouvernement du Québec en a fait l’acquisition. Immédiatement, un immense chantier s’est mis en branle pour réhabiliter la voie des ponts de Cascapédia-Saint-Jules.
Sur les 66 ponts ferroviaires qui jalonnent le chemin de fer gaspésien, les ponts jumeaux de Cascapédia–Saint-Jules, mis en service en 1891, étaient les plus vieux encore en place. « Ça fait longtemps qu’ils ont atteint leur fin de vie utile », lance Luc Lévesque, directeur général de la Société du chemin de fer de la Gaspésie (SCFG). Depuis plusieurs années, les trains devaient en effet porter une charge réduite pour s’engager sur les structures vétustes.
« On leur a mis des contraintes au fil des ans et des évaluations. On a permis aux structures de rester ouvertes avec des contraintes de tonnage, comme on voit parfois sur les réseaux routiers », indique Jean-Pierre Blondin, l’ingénieur de Norda Stelo qui veillait depuis 2011 à l’évaluation des anciens ponts.
Afin de remplacer les ouvrages centenaires, un projet de construction de deux nouveaux ponts ferroviaires a vu le jour en 2017. Deux ponts sont nécessaires pour traverser l’affluent à cette hauteur, puisque celui-ci se divise en deux bras pour contourner l’île du Cheval. Le projet consiste donc en la construction de deux structures jumelles, chacune composée de deux travées de 30 mètres (m) et de deux petites travées de 13 m. Ces infrastructures sont construites à 7 m au sud des ponts existants.
La conception des plans et devis pour la structure et la voie ferrée est assurée par Norda Stelo, tandis que la fondation est l’affaire de la firme Tetra Tech. Les travaux, lancés à l’été 2019, avaient pour objectif de livrer les ponts à l’été 2021. Leur cout est, quant à lui, estimé à 21 millions de dollars.
Une véritable course contre la montre
Or, au début du mois de décembre 2020, alors que l’entrepreneur s’apprêtait à fermer le chantier pour l’hiver, une inondation d’une ampleur exceptionnelle a provoqué un embâcle au pied des vieux ponts. « Des billots de bois et des arbres morts ont été entrainés dans le cours d’eau et se sont accotés sur le bas de la semelle inférieure des anciennes structures », explique Jean-Pierre Blondin. Après une inspection, l’ingénieur a décidé de mettre hors de service les ponts vieux de près de 130 ans. « Ils sont devenus comme un barrage. Ils ont repris toutes les charges du cours d’eau », précise-t-il.
L’arrêt inopiné de la circulation des trains sur les structures séculaires est venu précipiter la fin des travaux dans le but de mettre les nouveaux ponts en service le plus rapidement possible. Pour ce faire, Hamel Construction a dû mettre les bouchées doubles afin de boucler les travaux hâtivement. « Hamel Construction a fait un travail magistral. Ils ont opéré ça vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Et la qualité était là, constate Luc Lévesque.
Ç’a pris deux jours et la machine était partie », ajoute-t-il. Lors de travaux sur une voie ferrée, la priorité est toujours donnée aux trains. L’absence de train sur les vieux ponts a donc offert beaucoup plus de latitude aux travailleurs, puisque ceux-ci n’ont pas eu besoin d’arrêter les travaux chaque fois qu’un véhicule se présentait. « Les équipes pouvaient travailler sans être dérangées par le passage des trains. Nous avons ainsi gagné beaucoup de temps », soutient Jean-Pierre Blondin.
Après un travail acharné et sans relâche de l’entrepreneur, les nouveaux ponts ont été mis en service le 23 décembre 2020, soit une vingtaine de jours après l’embâcle uniquement. Bien que les nouveaux ouvrages soient opérationnels, le chantier s’est remis en marche à la fin du printemps et au cours de l’été 2021, notamment pour des travaux de remblayage et pour démolir les anciens ponts.
Un environnement à protéger
La rivière Cascapédia est réputée pour son eau limpide et ses saumons tant prisés par les pêcheurs. « Il s’agit d’une des plus grandes rivières à saumon en Amérique du Nord, note le directeur général de la SCFG. On sort des “trophées” de ce cours d’eau-là chaque année. » Afin d’éviter de perturber l’environnement et la fraie des saumons, les travaux ne pouvaient pas se faire sur les deux structures en même temps. « On avait des contraintes de travaux dans l’eau. On a deux ponts, mais on ne pouvait pas travailler sur les deux bras de rivière en même temps », expose l’ingénieur.
Le milieu terrestre fragile a aussi été pris en compte lors de la réalisation des travaux. « Tout le terrain autour des ponts ainsi que l’île qui se trouve entre les deux sont des milieux humides et des zones inondables. Il y avait donc beaucoup de précautions à prendre du point de vue de l’environnement, ce qui a fait que le projet a duré un peu plus longtemps », ajoute Jean-Pierre Blondin.
La rivière Cascapédia présente aussi un potentiel d’affouillement et de pression des glaces. Devant ce défi, l’ingénieur chez Norda Stelo a conçu d’immenses caissons forés au roc sur lesquels a été installé, en haut, un chevêtre avec un bec. Celui-ci servait à casser les glaces et à réduire les charges exercées sur les ouvrages par ces dernières. « C’est quelque chose de nouveau, ce n’est pas quelque chose qu’on voit couramment, souligne-t-il. Souvent, on installe simplement un gros caisson, un gros pilier de 2,8 à 3 m de diamètre. »
Malgré la fermeture inopinée des structures existantes et un environnement suscitant de nombreux défis, la livraison des ponts s’est effectuée plus tôt qu’initialement prévu grâce au travail acharné des différents acteurs du projet. Ainsi, le chemin de fer a pu continuer à desservir cette région et à donner un coup de main à sa vitalité économique.
Selon toute vraisemblance, les anciens ponts ferroviaires de Cascapédia–Saint-Jules étaient les derniers en service présentant ce type de design. Jusqu’au début des années 1980, des voitures pouvaient circuler sur le tablier inférieur des ponts, ce qui leur conférait un double usage. Ils avaient d’ailleurs été classés comme biens patrimoniaux. Il était malheureusement impossible de maintenir les structures en place, puisqu’un risque d’effondrement les menaçait.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2021. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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