Malgré l’importance des projets et des contrats octroyés, la société d’État est confrontée aux mêmes défis que ceux qui affectent toute l’industrie de la construction. Voici comment elle a relevé certains d’entre eux.
Ayant été construites il y a un demi-siècle, plusieurs centrales d’Hydro-Québec nécessitent des travaux de pérennisation. Bon nombre d’éléments vieillissants doivent être remplacés, dont les groupes turbine-alternateur. Il s’agit d’ensembles formés d’une turbine, qui transforme l’énergie de l’eau en action mécanique pour faire tourner un alternateur qui, à son tour, transforme cette énergie mécanique en énergie électrique.
« On a des groupes turbine-alternateur qui ont été conçus il y a 50 ans, donc on profite de l’évolution technologique pour installer des groupes plus performants », mentionne Francis Martel, chef de projets à Hydro-Québec. Grâce à cette opération de modernisation, la société d’État espère aller chercher 2 000 MW de puissance supplémentaire d’ici 2035.
Trois centrales sont en cours de réfection : celle de Carillon, pour 18 MW additionnels, celle de Rapide-Blanc (18 MW) et celle d’Outardes-2 (94 MW). Des travaux sont aussi à prévoir à la Trenche (48 MW), présentement en phase d’avant-projet. Survol de deux de ces projets.
Transport par barge à Carillon
Carillon est une centrale au fil de l’eau située aux abords de la rivière des Outaouais, dans les Laurentides. Construite au début des années 1960, elle est dotée de 14 groupes turbine-alternateur avec roues Caplan, lesquelles ont la particularité de pouvoir s’ajuster au débit de la rivière. Le projet de 750 millions de dollars prévoit le remplacement de six groupes turbine-alternateur, en plus du service auxiliaire électrique, du système de CVAC, du pont roulant, des ascenseurs et de la toiture. L’investissement vise aussi des travaux de génie civil tels que l’ajustement des passages hydrauliques.
Le premier groupe turbine-alternateur à faire l’objet d’un remplacement a été mis à l’arrêt en décembre 2021 et son démontage s’est étalé jusqu’en février 2022 (sa remise en service est prévue pour septembre 2023). La livraison des pièces fournies par Andritz – dont les plus grosses turbines nécessitent des permis spéciaux pour être transportées sur la route – a donné du fil à retordre à Hydro-Québec. À défaut d’obtenir ces permis, la société d’État a choisi l’automne dernier de recourir à un moyen de transport des années 1980 pour acheminer une roue d’eau : la barge.
« Ils l’ont fait voyager sur le fleuve et ensuite sur la rivière des Outaouais. On a fait prolonger les temps au niveau des écluses à Sainte-Anne-de-Bellevue en vue de pouvoir amener la barge jusqu’à Carillon. C’est ce type d’initiative qu’on essaie de prendre pour avoir le moins d’impact possible sur les échéanciers », raconte le chef de projets Marc-André Lefebvre.
L’approvisionnement se révèle d’ailleurs un défi constant pour Hydro-Québec. Lorsqu’il est impossible de trouver des fournisseurs au Québec ou au Canada, la société d’État doit se tourner vers l’Europe, ce qui signifie des transports outre-mer par bateau ou par avion. « On s’est fait “bumper” à certaines reprises », illustre Marc-André Lefebvre. Une situation fâcheuse qui requiert une certaine dose de créativité pour parvenir à sécuriser les transports.
Enjeu de main-d’oeuvre à Outardes-2
Moins avancé que celui de Carillon, le chantier Outardes-2 est en phase préparatoire. La centrale au fil de l’eau de la Côte-Nord est plus récente (1978) et ne possède que trois groupes turbine-alternateur, qui seront tous remplacés. En vue de cette étape importante, qui devrait réunir de 100 à 125 travailleurs sur le site, Hydro-Québec a commencé à aménager les lieux : agrandissement du stationnement et modification de son accès pour permettre la circulation sécuritaire de véhicules lourds et légers, aménagement d’installations temporaires pour les travailleurs comprenant des systèmes de traitement de l’eau potable et des eaux usées et construction d’un abri temporaire pour faire le pré-assemblage des groupes turbine-alternateur. Et, puisque ceux-ci seront assemblés à l’extérieur de la centrale, l’entrée de cette dernière devra être agrandie et munie d’une nouvelle porte.
Parmi les autres travaux prévus dans le cadre de ce projet s’élevant à 560 millions de dollars, mentionnons le remplacement des équipements électriques – dont les centres de distribution – et la réhabilitation des deux ponts roulants. Lorsque ces travaux préparatoires seront terminés, les équipes se concentreront sur le remplacement des groupes turbine alternateur et sur la réfection des vannes papillon, et La pénurie de main-d’oeuvre, qui sévit notamment chez les fournisseurs, constitue un défi majeur pour ce chantier.
Elle oblige la société d’État à revoir tous ses échéanciers. Francis Martel donne l’exemple d’un centre de distribution, dont la conception-fabrication nécessite de 12 à 14 mois alors que le délai était autrefois de 8 mois. « Ça vient mettre une très grande pression en ce qui concerne l’échéancier, parce que ce ne sont pas des journées qu’on perd, ce sont des mois ! », déplore-t-il. Le chef de projets mentionne aussi les soumissionnaires qui exigent une prolongation, car ils sont incapables de répondre aux appels d’offres dans le délai habituel de 30 jours.
De son côté, Marc-André Lefebvre observe un phénomène encore plus étonnant : les appels d’offres qui demeurent sans réponse. Il explique que des membres de son équipe doivent maintenant solliciter les entrepreneurs et prendre le temps de bien leur expliquer l’appel d’offres, de répondre à leurs questions. La société d’État tente aussi de les standardiser lorsque possible afin de faciliter la vie des entrepreneurs.
Pour le chantier d’Outardes-2, les contrats pour les groupes turbine-alternateur et les ponts roulants ont déjà été octroyés. Le prochain gros mandat à attribuer consistera en l’installation de tous les systèmes auxiliaires électriques servant au fonctionnement du groupe turbine-alternateur.
L’énergie produite par Hydro-Québec et la puissance sont deux choses différentes. Pour mieux expliquer ces concepts, le porte-parole de la société d’État, Francis Labbé, fait l’analogie avec une auto : « Imagine une voiture. L’énergie, c’est la distance que tu vas parcourir avec ton réservoir d’essence qui est plein. La puissance, c’est ce dont tu as besoin comme vitesse à un certain moment pour dépasser la grosse van qui est en avant de toi. »
Ainsi, l’ajout de mégawatts de puissance permettra de fournir plus d’électricité à des moments précis, comme lors de la pointe hivernale survenue le 3 février dernier à l’heure du souper alors que les ménages québécois utilisaient plusieurs appareils domestiques, en plus de faire fonctionner leur système de chauffage au maximum. Par contre, comme la quantité d’eau qui coule dans les rivières ou qui s’accumule dans les réservoirs reste la même, la quantité d’énergie produite pendant une année donnée n’augmentera pas. À moins, évidemment, d’harnacher de nouveaux cours d’eau.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Infrastructures et grands travaux 2023. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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