Erreur dans une soumission : match nul entre l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage

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16 mai 2014 | Par Me Alexandre Lacasse, avocat

En réponse à un appel d’offres, un entrepreneur dépose une soumission qui ne vise qu’une partie des travaux, croyant par erreur qu’il était possible de fournir un prix pour une seule section du devis. Le donneur d’ouvrage lui octroie un contrat, compte tenu qu’il est le plus bas soumissionnaire par un écart de plus de 160 000$.

Constatant son erreur, l’entrepreneur refuse de réaliser tous les travaux prévus au devis et demande d’être autorisé à n’exécuter que les travaux pour lesquels il avait soumissionné. Le donneur d’ouvrage refuse, octroie le contrat au deuxième plus bas soumissionnaire et réclame à l’entrepreneur la différence de 160 000$ entre le prix de sa soumission erronée et le prix du deuxième plus bas soumissionnaire.

 

Tel est le contexte de l’affaire Société québécoise des infrastructures c. C. & G. Fortin inc., (2014 QCCA 730).

 

L’entrepreneur Fortin croyait erronément que les travaux à réaliser ne concernaient que les revêtements extérieurs en bois de l’immeuble, alors que l’appel d’offres visait aussi les revêtements métalliques. Le devis prévoyait par ailleurs que l’entrepreneur devait fournir une attestation d’expérience en matière d’installation de revêtements métalliques. Puisque Fortin ne soumissionnait que pour le revêtement de bois, il n’a pas fourni cette attestation.

 

Le devis prévoyait aussi que le soumissionnaire devait fournir une ventilation complète du prix de sa soumission avant l’adjudication du contrat. Or, le donneur d’ouvrage n’avait pas demandé à Fortin de lui fournir cette ventilation des prix avant l’octroi du contrat, ce qui lui aurait d’ailleurs permis de constater l’erreur.

 

Le juge de la Cour supérieure a considéré que le donneur d’ouvrage s’était empressé d’octroyer le contrat à Fortin afin d’injustement tirer profit de la situation.

 

Le juge ne reproche pas au donneur d’ouvrage de ne pas s’être questionné devant l’énorme différence de prix de 160 000$ (sur un contrat d’une valeur totale de 600 000$). Le juge lui reproche plutôt de s’être empressé à accepter la soumission de Fortin, qui était pourtant clairement non conforme puisqu’il n’avait pas inclus dans sa soumission l’attestation requise en matière de revêtement métallique. Le juge reproche également au donneur d’ouvrage de ne pas avoir suivi la procédure qu’il avait lui-même établie au devis, à savoir demander une ventilation complète du prix de la soumission avant d’octroyer le contrat.

 

Pour toutes ces raisons, le juge a décidé que le donneur d’ouvrage n’avait pas la bonne foi requise pour conclure que le contrat de construction avait valablement été conclu avec Fortin.

 

Le juge rejette la réclamation du donneur d’ouvrage pour la différence de prix de 160 000$ avec le deuxième plus bas soumissionnaire et déclare qu’aucun contrat d’entreprise n’est né du dépôt de la soumission de Fortin. Celle-ci n’étant pas conforme, Fortin ne pouvait par ailleurs exiger que le donneur d’ouvrage lui permette d’exécuter le contrat pour les seuls travaux sur lesquels il avait soumissionné.

 

La Cour d’appel confirme ce jugement à l’unanimité.

 

Il ne s’agit pas d’une première, mais il s’agit d’un des rares cas où les tribunaux ont permis à un soumissionnaire de se libérer de sa soumission, malgré une erreur dont il est responsable. En général, l’erreur du soumissionnaire dans sa soumission, par exemple, une erreur de chiffre dans son bordereau de prix, ne l’autorise pas à se libérer de sa soumission. À compter de son dépôt, il est lié par celle-ci et il doit l’honorer, même si cela implique d’exécuter le contrat à perte.

 

Par contre, lorsque l’erreur du soumissionnaire porte sur un élément essentiel et a pour conséquence de rendre la soumission non conforme, le donneur d’ouvrage ne peut renoncer à l’exigence de conformité afin de tirer profit de la situation. En effet, accepter une soumission non conforme est une injustice envers les autres soumissionnaires, et, en l’occurrence, une injustice envers le soumissionnaire qui a commis une erreur !