Peut-on inscrire une hypothèque légale de la construction pour des travaux d’épandage de matériaux non contaminés et de nivellement d’un terrain ?
Dans l’affaire 9072-7892 Québec inc. (Pro-Co Beauce) c. Raymond Leblanc inc.,1 la Cour d’appel devait décider si une hypothèque légale de la construction pouvait être inscrite pour de tels travaux.
Un promoteur immobilier détenait un terrain et il avait comme projet de le vendre. À cette fin, il voulait rendre ce terrain plus « constructible » et donc plus « vendable ». Ainsi, il a demandé à l’entrepreneur Pro-Co Beauce d’épandre une quantité considérable, évaluée à 132 000 mètres cubes, de matériaux non contaminés et de niveler le terrain. Nous parlons ici de travaux ayant une valeur approximative autour de 1 000 000 $.
Pro-Co Beauce inscrit une hypothèque légale de la construction pour les travaux qu’elle a effectués. Suite aux travaux, le promoteur immobilier se prévaut de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. N’étant pas payée, Pro-Co Beauce publie des préavis d’exercice d’un droit hypothécaire et elle entreprend des procédures judiciaires en délaissement forcé sur le terrain en question.
Or, Raymond Leblanc inc. détenait une garantie hypothécaire sur le même terrain et il avait enregistré un préavis d’exercice d’un recours en prise en paiement. Le débat principal devant les tribunaux visait à savoir si l’hypothèque légale de la construction inscrite par Pro-Co Beauce était opposable à Raymond Leblanc inc. Plus spécifiquement, les tribunaux se sont attardés à déterminer si Pro-Co Beauce pouvait inscrire une hypothèque légale de la construction pour le type de travaux effectués sur le terrain.
Les juges de la Cour supérieure et de la Cour d’appel ont décidé que des travaux d’épandage de matériaux non contaminés et de nivellement d’un terrain ne donnent pas droit à l’hypothèque légale de la construction dans les circonstances.
En effet, la Cour d’appel juge que, pour donner ouverture à l’hypothèque légale, les travaux exécutés doivent être de la nature de travaux de construction, c’est-à-dire qu’ils doivent avoir pour objet l’érection d’un bâtiment.
Néanmoins, les travaux relatifs à un accessoire indispensable au bâtiment peuvent également donner lieu à l’inscription d’une hypothèque légale de la construction. Bref, les travaux doivent s’inscrire dans un projet de construction d’un bâtiment.
Or, comme les travaux effectués par Pro-Co Beauce visaient à rendre le terrain « constructible » ou « plus vendable », ils ne faisaient pas partie d’un projet de construction visant l’érection d’un bâtiment. Pro-Co Beauce n’a pas « participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble » et son hypothèque légale n’était pas valide. La Cour d’appel conclut ainsi :
« Il serait, à mon avis, contraire à l’économie du droit, de vouloir étendre, sans assise légale appropriée, l’hypothèque légale de construction à des créances relatives à des travaux qui, aussi importants qu’ils puissent paraître en raison des sommes qui y sont investies, n’ont pas de lien réel avec la construction ou la rénovation d’une bâtisse, d’un bâtiment ou de ses accessoires sans qu’ils soient parties à un projet réel de construction. »