Cadenasser pour une plus grande sécurité

6 octobre 2022
Par Mathieu Ste-Marie

Chaque année, des accidents liés à un problème de contrôle des énergies dangereuses surviennent sur les chantiers de construction. Or, l’application systématique d’une méthode simple et efficace pourrait pratiquement les éliminer.

Cette méthode est le cadenassage, soit l’installation d’un cadenas à cléage unique sur un dispositif d’isolement d’une source d’énergie. La pertinence du cadenassage est née d’un constat : la mise hors tension de cette source n’est pas suffisante pour constituer une réelle protection pour le travailleur qui installe, inspecte, ajuste, décoince, nettoie ou règle une machine. En effet, un collègue pourrait, par exemple, activer accidentellement le dispositif permettant de contrôler les énergies et ainsi mettre en danger la santé du travailleur qui s’affaire sur une machine.

 

En contrepartie, l’installation d’un cadenas permet de maintenir ce dispositif dans un état sécuritaire pendant toute la durée des travaux. À condition que seul le travailleur puisse ouvrir le cadenas. « Si, par exemple, le frigoriste travaille sur un compresseur, il faut qu’il soit certain que, lorsqu’il intervient et qu’il met les mains dans les courroies, personne ne puisse remettre en marche le compresseur », explique Damien Burlet-Vienney, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

 

Ce chercheur et deux collègues ont réalisé une étude sur le contrôle des énergies dangereuses par cadenassage qui a été publiée en juin dernier. Pour ce faire, ceux-ci ont mené des entrevues avec 38 électriciens, frigoristes, mécaniciens et tuyauteurs de mai 2018 à décembre 2019. « Nous avons réalisé que le cadenassage est bien appliqué dans les chantiers industriels et les gros chantiers commerciaux.

 

Damien Burlet-Vienney, chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail. Crédit : IRSST

 

Toutefois, ce l’est moins dans les plus petits chantiers où il n’y a pas de maître d’oeuvre bien défini. Généralement, les travailleurs vont mettre les énergies à zéro sans installer de cadenas. » En effet, d’après les entrevues, le cadenassage est rarement la méthode choisie par l’intervenant pour le contrôle des énergies lorsque le maître d’oeuvre désigné ne l’impose pas, en particulier pour les électriciens, les tuyauteurs et les frigoristes.

 

Par conséquent, près de 85 % des participants à l’étude ont déclaré avoir vécu ou assisté à un incident notable ou à un « passé-proche » alors que le contrôle des énergies n’était pas assuré adéquatement, tels que des électrisations lors de travail sous tension et des redémarrages de machines inopinés.

 

Un décès par année

Dans certains cas, les accidents peuvent être tragiques. En effet, selon une recension réalisée par les auteurs de l’étude, 27 travailleurs sont décédés et 5 autres ont été blessés gravement à cause d’un problème de contrôle des énergies dangereuses de 1990 à 2017. Il s’agit, en moyenne, d’un décès par année et d’un taux de 0,65 décès par 100 000 travailleurs. Notons que les chantiers commerciaux et industriels représentent 75 % des cas répertoriés, tandis que les corps de métiers non spécialistes sont impliqués dans 33 % des accidents.

 

Cette analyse sommaire a permis de constater que les deux tiers des victimes ont été en contact direct ou indirect avec une pièce sous tension. Les causes énoncées dans les rapports d’accidents pour les risques électriques sont les méthodes de travail non sécuritaires, des pièces sous tension accessibles, du travail effectué par des personnes non compétentes ou un manque de supervision. Par exemple, l’une des victimes a perdu la vie lorsqu’elle est entrée en contact avec un cavalier sous tension au moment où elle remplaçait un disjoncteur.

 

Mis à part les risques électriques, ceux liés à la vapeur, aux éléments tournants et aux produits chimiques sont également évoqués. Parfois, même si la source d’énergie a été désactivée, des risques subsistent. « Il y a des énergies résiduelles comme l’électricité statique, la pression et la gravité qu’il faut contrôler, explique Damien Burlet- Vienney. Par exemple, même si une vanne a été fermée, il peut y avoir encore de la pression dans les tuyaux. Le cadenassage, ce n’est pas seulement de poser un cadenas ».

 

Des cadenas pour chaque travailleur

Dans certaines situations, les travailleurs utilisent d’autres moyens que le cadenas pour sécuriser l’intervention. Par exemple, certains peuvent se servir d’attaches-câbles (tie-wrap) et de ruban adhésif. Ces options dépannent lorsqu’il n’y a pas de cadenas sur le chantier. Cette situation ne devrait toutefois pas se produire, estime le chercheur Damien Burlet- Vienney. « Les travailleurs devraient toujours avoir un ou deux cadenas dans leur coffre à outils. C’est un outil de base. Pourquoi le cadenas ne serait-il pas fourni à la fin de la formation des travailleurs puisque l’on sait qu’ils vont en avoir besoin dans leur carrière ? »

 

À l’heure actuelle, le règlement sur l’utilisation du cadenassage pour les travailleurs qui entreprennent tout travail dans la zone dangereuse d’une machine prévoit que le maître d’oeuvre fournisse le cadenas. Pour cela, il faut cependant qu’un maître d’oeuvre soit clairement désigné sur le chantier. Selon le chercheur Damien Burlet-Vienney, cette désignation pourrait jouer un rôle important dans la prévention des accidents, notamment sur la préparation du matériel de cadenassage, la rédaction des procédures et la vérification de la formation sur le chantier.

 

LES TRAVAILLEURS TÉMOIGNENT

Plusieurs travailleurs ont raconté aux chercheurs de l’étude avoir eu des accidents ou avoir été témoins d’accidents liés à un problème de contrôle des énergies. Voici quelques témoignages.

« Un travailleur intervenait sur un broyeur dans une fonderie sans se cadenasser. Quelqu’un l’a remis en marche et il a commencé à tourner avec le travailleur dessus », raconte un mécanicien.

Pour sa part, un frigoriste raconte son expérience dans une épicerie. « Le breakers était à OFF, mais une lumière a brûlé. Le directeur du magasin est entré dans la salle de contrôle et a commencé à jouer avec les breakers au moment où on intervenait sur l’équipement », explique le travailleur.

De son côté, un électricien dit avoir eu un choc « sur du 600 volts ». « En tirant sur le fil, je suis entré en contact avec un brin qui n’était pas bien mis dans la Marrette. Dans ce cas-ci, je ne pouvais pas couper la lumière du stationnement. »