Le secteur agroalimentaire alimente l'industrie de la construction

4 novembre 2021
Par Vincent Rioux

Secteur cardinal de l’économie québécoise, l’industrie agroalimentaire subit depuis le début de la pandémie une certaine transformation qui sourit aux entrepreneurs en construction.

« Il y a beaucoup d’effervescence dans notre milieu présentement », s’enthousiasme Luc Cusson, vice-président Ingénierie et Développement des affaires pour Frare & Gallant Construction, une entreprise qui a fait le choix de se spécialiser dans le secteur industriel agroalimentaire. Ce secteur constitue le plus important employeur manufacturier au Québec, représentant 6,7 pour cent du PIB total de la province.

 

Comment expliquer ce bouillonnement dans ce domaine bien niché de l’industrie de la construction ? D’abord, les entreprises agroalimentaires qui fournissaient le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des institutions ont vu une certaine baisse de la demande en raison de la COVID-19, ce qui a forcé certaines d’entre elles à se réorienter vers la vente au détail ou en ligne. Cette conjoncture a eu pour effet de modifier les opérations dans les usines, nécessitant de ce fait la réalisation de travaux de construction pour accommoder cette nouvelle direction.

 

Luc Cusson, vice-président Ingénierie et Développement des affaires pour Frare & Gallant Construction. Crédit : Frare & Gallant

 

Puis, la pandémie a provoqué une intensification de la demande pour la nourriture locale en plus de rendre l’exportation de certains produits plus laborieuse. Afin de répondre à cette nouvelle tendance, les acteurs de l’industrie agroalimentaire ont multiplié les investissements dans l’industrie de la construction depuis un an et demi. « Présentement, comme dans beaucoup d’autres secteurs de l’industrie de la construction, il y a une très forte demande », reconnait Luc Cusson.

 

Éviter à tout prix la contamination

Effectuer des travaux dans une usine alimentaire en production requiert une expertise particulière, notamment en raison du risque accru de contamination de la nourriture et des normes de salubrité élevées dans ce type de bâtiment. « L’expertise qu’on a développée, c’est de la planification et de la coordination beaucoup plus élevées avec la direction de l’usine, soutient le vice-président au développement des affaires. Couper du béton, sortir et rentrer des matériaux, c’est de l’usuel en construction. Mais quand il y a de la production de fromages ou de gâteaux à proximité [du chantier], il faut prendre des précautions supplémentaires. »

 

« Je dis toujours que si l’usine était fermée, ce ne serait pas bien compliqué, sourit Luc Cusson. Mais on ne peut pas demander à nos clients de stopper la production pour la durée des travaux. Afin d’éviter qu’il y ait contamination, il y a des précautions à prendre, il faut souvent circonscrire les travaux. »

 

Des installations temporaires assurent alors l’étanchéité du chantier. De l’équipement de ventilation pousse l’air du chantier vers l’extérieur pour empêcher que de la poussière de béton ne se retrouve dans les produits alimentaires, par exemple. Parfois, des corridors de travail sont aménagés, quand c’est possible. « Il nous arrive d’ouvrir des murs extérieurs quand il le faut. On a même déjà ouvert le toit pour faire passer des matériaux, ajoute le vice-président. C’est extrême, mais ça se fait. »

 

Le principe de rendre le chantier hermétique permet aux travailleurs de se vêtir normalement. Or, dès qu’ils quittent la zone des travaux et qu’ils circulent au sein de l’usine, les ouvriers doivent se plier aux nombreuses règles sanitaires. Vêtement de protection, changement de bottes, lavage de mains sont, entre autres, des mesures courantes.

 

« La particularité, c’est donc d’aller beaucoup plus en détail dans la définition du travail à accomplir dans les semaines, les jours et même parfois les heures à venir », insiste Luc Cusson. Généralement, un comité de travail est mis sur pied avec l’usine. « Les gens des opérations, le responsable des mesures sanitaires et du contrôle de la qualité sont intégrés au comité. C’est un travail d’équipe qui sert à planifier et à coordonner les travaux en fonction des opérations de l’usine. Et s’il y a un risque de contamination, les gens du contrôle de la qualité interviennent », explique-t-il.

 

Exigences sanitaires des usines

Il s’agit donc de coordonner, de planifier et d’exécuter des travaux selon des méthodes qui satisfont aux exigences rigoureuses de l’industrie agroalimentaire. Christine Jean, vice-présidente aux Services techniques et réglementaires du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) et auditeur pour le programme Safe Quality Food (SFQ) de la Global Food Safety Initiative (GFSI), connait bien les diverses normes de l’industrie.

 

Christine Jean, vice-présidente aux Services techniques et réglementaires du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) et auditeur pour le programme Safe Quality Food (SFQ) de la Global Food Safety Initiative (GFSI). Crédit : Gracieuseté

 

« Il ne faut pas que [les matériaux] contaminent les aliments, que ce soit de manière physique, chimique ou microbiologique, commence par rappeler l’experte. Il faut que le bâtiment soit lavable. Les peintures et les revêtements doivent être approuvés pour l’industrie agroalimentaire, afin d’éviter que des composés toxiques ne se retrouvent dans les aliments. »

 

Bien sûr, les types de production alimentaires influencent les mesures sanitaires. Par exemple, une usine de transformation de viandes ou de lait, où le taux d’humidité ambiant est minutieusement contrôlé, requiert des mesures beaucoup plus strictes qu’une boulangerie, où les produits sont secs.

 

« Dans le domaine des viandes, la contamination peut être plus grave, prévient la vice-présidente. Dans les chambres où on transforme, il faut pouvoir nettoyer fréquemment à la mousse. Ça prend des drains, des joints sur les murs et les planchers, des revêtements qui sont lavables et étanches. Les murs doivent être le plus pâle possible pour voir si c’est sale », explique-t-elle. Négliger ces normes peut entrainer d’importantes conséquences pour l’entreprise agroalimentaire. « Si on ne respecte pas les exigences, l’entreprise peut ne pas pouvoir démarrer ses activités après la fin des travaux », prévient Luc Cusson.

 

Location, une tendance dans l’industrie

Si dans le passé il était peu fréquent pour une entreprise agroalimentaire de louer ses installations industrielles, aujourd’hui, il semble que ce ne soit plus tout à fait le cas. « Il y a environ 25 ou 30 ans, la mentalité des entreprises c’était davantage d’être propriétaire de leur bâtiment, constate le vice-président chez Frare & Gallant. Le volet immobilier industriel est en croissance », croit-il.

 

Qu’est-ce qui explique cette nouvelle tendance ? D’abord, les enjeux de main-d’oeuvre ont eu pour effet de rendre l’automatisation et la robotisation des usines très importantes. Cela représente un gros investissement pour les entreprises agroalimentaires. Puis s’ajoute à cela la commercialisation des produits alimentaires qui coute aussi très cher.

 

« À un moment donné, les entreprises ne peuvent pas tout faire », pense Luc Cusson. C’est ce qui explique que de grosses entreprises aient décidé de ne pas être propriétaires et de louer les bâtiments industriels. C’est le cas des Rôtisseries Saint-Hubert pour la location de leur nouveau centre de distribution à Mascouche, l’entreprise ayant mandaté Frare & Gallant la réalisation des travaux de construction, par exemple.