L’hypothèque légale est un droit exceptionnel et un outil efficace pour s’assurer d’être payé lorsqu’on est un sous-entrepreneur et qu’on ne fait pas affaire directement avec le propriétaire de l’immeuble où les travaux sont exécutés.
Bien entendu, pour pouvoir en bénéficier, il faut respecter certaines règles, dont à la base se trouve l’avis de dénonciation, soit la confirmation écrite au propriétaire de l’obtention du contrat de sous-traitance, condition essentielle à l’exercice de l’hypothèque légale prévue à l’article 2728 du Code civil du Québec.
Pour être valable, cette dénonciation doit respecter certains critères stricts qui ont récemment été réaffirmés dans le jugement Équipements d’excavation Quatre-Saisons inc. c. 6642641 Canada inc. (Seabrook Construction). Dans cette affaire, la juge Danielle Turcotte a eu à se prononcer sur la recevabilité d’un avis de dénonciation qu’elle a ultimement considéré insuffisant. D’autre part, la juge s’est également penchée sur l’impact d’une fausse quittance signée par le sous-entrepreneur alors qu’il n’avait pas véritablement reçu le paiement des sommes dues par l’entrepreneur.
Comme nous le verrons ci-après, ce stratagème peut avoir des conséquences néfastes sur l’hypothèque légale.
Les faits
En 2008, Groupe Jean Coutu (Jean Coutu) invite des entrepreneurs à soumissionner pour des travaux de rénovation d’une pharmacie en exploitation à Saint-Jérôme. Afin de compléter sa soumission, l’entrepreneur général Seabrook invite divers entrepreneurs spécialisés à soumissionner pour les parties des travaux concernées par leurs spécialités respectives. Équipements d’excavation Quatre-Saisons inc. (Quatre-Saisons) offre d’effectuer les travaux de réaménagement du stationnement à un coût de 218 865 $. Sa soumission englobait deux spécialités écrites aux conditions générales du devis, soit « excavation-remblai » et « aménagement extérieur ».
Or, après avoir obtenu le contrat du propriétaire, Seabrook demande à Quatre-Saisons de lui proposer une autre soumission incluant seulement la portion « excavation-emblai », ce qu’elle fait pour un montant de 84 000 $. C’est ce contrat qui est finalement octroyé à Quatre-Saisons qu’elle dénonce le lendemain à Jean Coutu en indiquant « réaménagement du stationnement, drainage et autres » pour un montant de 84 000 $ plus taxes et extras.
En cours d’exécution, Quatre-Saisons rencontre divers obstacles en raison de la présence de grosses roches dans le sol, ce qui occasionne des frais supplémentaires non inclus à son contrat. Par la suite, Seabrook lui demande d’effectuer les travaux relatifs à la nouvelle entrée charretière, de fournir de la pierre concassée et de paver le stationnement. Quatre-Saisons ne dénonce pas ces travaux à Jean Coutu qu’elle qualifie d’extras.
Ultimement, Jean Coutu met fin au contrat avec Seabrook en raison de son incapacité à mener son projet à terme. À ce moment, Quatre-Saisons n’a reçu que le paiement de son bon de commande de 84 000 $, moins la retenue de 10 %. Toutefois, Quatre-Saisons a fourni deux quittances à Jean Coutu : une pour le paiement reçu et une seconde de 51 840 $, bien qu’elle n’ait pas été payée pour autant par Seabrook.
C’est dans ce contexte que Quatre-Saisons intente une réclamation au montant de 142 208,02 $ contre Seabrook en paiement de ses travaux supplémentaires ainsi qu’un recours hypothécaire contre Jean Coutu pour la forcer à délaisser son immeuble.
La décision de la Cour
1. La dénonciation est insuffisante
La juge vient à la conclusion que la dénonciation de Quatre-Saisons est insuffisante car elle ne décrit pas correctement la portée des travaux donnés en sous-traitance. En effet, le contrat que Quatre-Saisons obtient de Seabrook ne vise que l’excavation et le remblai. Or, elle dénonce un contrat de réaménagement du stationnement, drainage et autres, ce qui ne correspond pas à la réalité contractuelle des parties.
À l’appui de sa décision, la juge rappelle que l’objectif de la dénonciation est de permettre au propriétaire, en l’occurrence Jean Coutu, de conserver des sommes suffisantes de manière à se protéger contre la publication d’une hypothèque légale « le propriétaire de l’immeuble a le droit de savoir du sous-entrepreneur qu’il a l’intention d’exercer son privilège et quels sont les termes du contrat qui en fixeront l’étendue. »
La juge prend également le soin de rappeler ce que doit contenir la dénonciation :
- la désignation du propriétaire de l’immeuble ;
- la désignation de celui qui donne l’avis de dénonciation (le nom du créancier) ;
- la dénonciation du contrat du créancier ;
- une mention selon laquelle la dénonciation est effectuée en vertu de l’article 2728 C.c.Q. ;
- la nature des travaux, des matériaux ou des services ;
- le nom de l’entrepreneur avec lequel le contrat est passé ;
- le prix du contrat (sous contrat)[…].
2. La quittance est opposable à Quatre-Saisons
Quant aux deux quittances, la juge rappelle que l’objectif visé par cette exigence est de permettre au propriétaire de libérer le paiement à l’entrepreneur général sans risque de voir son immeuble grevé d’une hypothèque légale. En émettant une quittance, le sous-traitant assure le propriétaire qu’il est payé et le dégage de retenir des sommes à l’entrepreneur général à son bénéfice.
Ici, Quatre-Saisons signe une première quittance au montant de 72 533,47 $, représentant ce qui lui est dû sur son contrat dénoncé relatif à l’excavation et le remblai moins une retenue de 10 %. Ce montant lui a effectivement été payé.
Par contre, sous prétexte qu’il s’agit d’une condition de paiement exigée par Seabrook, Quatre-Saisons signe une deuxième quittance où elle reconnaît avoir reçu une somme de 51 640,61 $ alors que ce n’est pas le cas. Quatre-Saisons explique qu’elle a annulé la seconde quittance 10 jours après sa signature après avoir appris que Seabrook n’avait pas reçu de chèque.
À ce sujet, la juge conclut que les effets d’une quittance ne s’estompent pas du simple fait qu’on ait inscrit la mention « annulée » sur celle-ci et qu’on l’ait retournée par télécopie à l’entrepreneur. Elle ajoute également que Quatre-Saisons a été négligente et imprudente en signant une quittance inconditionnelle sans être payée et estime que Jean Coutu est en droit de la tenir pour avérée et de lui opposer.
Au bout du compte, la juge condamne Seabrook à payer la somme de 131 146,32 $ à Quatre-Saisons en paiement pour ses travaux supplémentaires et elle ordonne la radiation de son hypothèque légale sur l’immeuble de Jean Coutu.
En bref, il faut retenir qu’on se doit de décrire fidèlement les travaux contractuels qui nous sont octroyés par l’entrepreneur général dans notre avis de dénonciation et d’éviter de signer des quittances de complaisance, particulièrement lorsqu’on n’a pas reçu les sommes qui nous sont dues.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Stephan H. Trihey au 514 871-5354 ou par courriel à strihey@millerthomson.com
Cette chronique est parue dans l’édition du jeudi 1 mai 2015 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !