Tout soumissionnaire le sait bien : les documents d’appel d’offres sont exigeants. Le soumissionnaire a le devoir de faire un exercice d’analyse complet, sérieux et attentif des documents d’appel d’offres, et doit agir en respectant les termes et conditions qui y sont exposés. Ainsi, le soumissionnaire a l’obligation de se poser des questions et de se renseigner en cas de doute, ou lorsque des ambiguïtés se présentent [1].
Le défaut de respecter scrupuleusement les instructions contenues dans les documents d’appel d’offres peut facilement mener à la perte du contrat, tel que l’on peut voir dans l’affaire Daharpro Construction inc. c. Société immobilière du Québec [2].
Dans cette affaire, la demanderesse Daharpro Construction inc. (« Daharpro ») poursuit la défenderesse, la Société immobilière du Québec (« SIQ ») pour perte de profits. Daharpro prétend que le contrat aurait dû lui être octroyé, et la SIQ rétorque que le contrat fut accordé au plus bas soumissionnaire conforme.
Les faits
Le 1er avril 2009, la SIQ lance un appel d’offres pour des travaux de rénovation à l’un de ses édifices. Parmi les documents d’appel d’offres se trouve le formulaire de soumission F-2318-0 (contrat de construction à forfait) (« Formulaire A »).
Le 21 mai 2009, la SIQ publie un addenda « avis aux soumissionnaires », dirigeant les soumissionnaires à prendre connaissance de l’addenda et d’en tenir compte dans la préparation de leur soumission. Une des modifications de l’addenda est d’annuler le Formulaire A et de le remplacer par le formulaire F-2321-0 (contrat de construction à prix global) (« Formulaire B »). Le Formulaire B a donc pour effet de transformer l’appel d’offres : plutôt que d’être pour un contrat de construction à prix forfaitaire, il devient un contrat de construction à prix global [3]. Une autre modification apportée par l’addenda est l’ajout du bordereau de soumission destiné au calcul du montant de la soumission à prix global.
Malgré l’addenda, Daharpro soumissionne en utilisant le Formulaire A plutôt que le Formulaire B et, à l’ouverture des soumissions, celle de Daharpro est rejetée. La SIQ envoie une lettre à Daharpro lui expliquant que le rejet de sa soumission est attribuable à l’utilisation du mauvais formulaire, ce qui rend sa soumission non conforme et, par ailleurs, restrictive.
Ayant soumissionné le prix le plus bas, Daharpro offre de corriger le tout sans modifier son prix. La SIQ accepte de réévaluer le dossier mais, après réévaluation, informe Daharpro qu’elle est toujours d’avis que la soumission est irrecevable et qu’elle maintient sa décision de la rejeter.
Analyse
Daharpro plaide d’abord que les documents contractuels transmis par la SIQ, plus particulièrement ceux de l’addenda, sont ambigus. La Cour rejette cet argument pour deux motifs principaux.
La Cour rappelle premièrement le principe abordé au tout début de cette chronique : il appartient aux soumissionnaires d’analyser les documents d’appel d’offres avec vigilance et de se renseigner auprès du donneur d’ouvrage en cas d’ambiguïté. Or, dans cette affaire, le président de Daharpro ainsi que son estimatrice ont témoigné à l’effet qu’ils ont reçu tous les documents de l’appel d’offres initial et tous les documents de l’addenda. Ces témoins ont par ailleurs reconnu ne jamais avoir communiqué avec la SIQ lors de la préparation de la soumission.
La Cour se penche ensuite sur les documents d’appel d’offres eux-mêmes. Elle conclut qu’une analyse attentive de ceux-ci révèle que le Formulaire B a remplacé le Formulaire A, et que le Formulaire B est essentiel à une soumission conforme. En effet, les documents d’appel d’offres de la SIQ créent une distinction entre le contrat à prix forfaitaire et le contrat à prix global.
Dans cet appel d’offres, un contrat à prix forfaitaire est un contrat dans lequel le soumissionnaire s’engage à exécuter le contrat conformément au prix qui est indiqué dans le Formulaire A. Aucune variabilité n’est possible, et le bordereau de soumission n’est pas nécessaire. En revanche, le contrat à prix global est un contrat dans lequel le prix est déterminé en trois étapes, soit (1) en multipliant le prix à l’unité de chaque produit utilisé par sa quantité estimée pour le contrat, puis (2) en additionnant les montants pour chaque produit et (3) s’il y a lieu, en rajoutant des prix forfaitaires. Le contrat à prix global comporte donc une partie variable, calculée en fonction des estimés de quantités de produits, et une partie invariable, celle qui est forfaitaire. Le bordereau est donc nécessaire et le soumissionnaire s’engage, dans le Formulaire B, à exécuter les travaux selon les quantités réelles requises par la SIQ conformément aux prix soumis au bordereau, et non au Formulaire B.
La Cour conclut donc que les documents d’appel d’offres de la SIQ ne présentent aucune ambiguïté, et que ce n’est que par manque de vigilance que Daharpro a fait l’erreur d’utiliser le Formulaire A.
Daharpro plaide ensuite que la SIQ était mal fondée lorsqu’elle a refusé d’accepter l’offre de corriger la soumission sans en modifier le prix. La Cour rejette cet argument pour deux motifs. Premièrement, elle est d’avis qu’en soumettant à la fois le Formulaire A et le bordereau de soumission, Daharpro a produit une soumission restrictive. Deuxièmement, la Cour est d’avis que la production du Formulaire B et d’une soumission non restrictive étaient des conditions essentielles à la conformité et la recevabilité de la soumission. Afin de respecter le principe d’égalité entre les soumissionnaires, la SIQ devait rejeter la soumission de Daharpro qui était ni conforme ni recevable.
Conclusion
On ne peut que trop le répéter : vigilance et rigueur sont de mise lorsque vient le temps d’analyser les documents d’appel d’offres. En cas de doute, il faut s’informer auprès du donneur d’ouvrage sans délai. Une erreur ou un oubli qui paraît minime à première vue peut finir par coûter bien plus cher que l’effort de l’éviter.
Vous pouvez adresser vos questions ou commentaires à Me Patrick Garon-Sayegh (Miller Thomson Pouliot s.e.n.c.r.l.) au 514 871-5425 ou à pgsayegh@millerthomsonpouliot.com.
1.Structure d'acier Orléans inc. c. Société immobilière du Québec, 2005 CanLII 46238 (QC CS), para. 82 à 84.
3. Les définitions données à ces deux types de contrat de construction peuvent varier selon le contexte. Nous nous attardons plus bas sur la manière dont ces deux types contrats ont été définis dans la présente affaire.
Cette chronique est parue dans l’édition du vendredi 19 octobre 2012 du journal Constructo. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !