Sur un chantier d'envergure comme celui du nouveau pont Champlain ou ailleurs, les travaux effectués à proximité de l’eau sont une source constante de dangers. Quelques balises pour bien amarrer le plan de sauvetage à son chantier.
Construction d’une digue, réfection des piles d’un pont, transport de travailleurs sur l’eau… Les chantiers réalisés près de l’eau, sur l’eau ou au-dessus de l’eau, soulèvent plusieurs préoccupations quant à la santé et à la sécurité des travailleurs appelés à y oeuvrer. Exposés à la noyade, à l’hypothermie, voire aux infections en présence d’eau contaminée, il convient d’éviter à tout prix qu’ils n’y plongent. Le cas échéant, le maitre d’oeuvre disposera de très peu de temps pour se porter à la rescousse des naufragés. D’où la nécessité de bien planifier son plan de sauvetage.
Une approche adaptée
Car il ne suffit pas d’équiper simplement ses travailleurs d’un vêtement de flottaison individuel pour les protéger de la noyade. Comme toujours, mieux vaut respecter l’esprit de la Loi sur la santé et la sécurité du travail en éliminant à la source les risques et dangers potentiels. Ce fut le cas au chantier du nouveau pont Champlain, où l’on a priorisé la sécurité nautique, notamment par la préfabrication de certaines pièces, tels les chevêtres, l’assemblage au sol de certains éléments, comme les garde-corps des barges de travail, et l’utilisation de limitateurs de portée pour l’assemblage des barges entre elles.
« On a élaboré notre programme de prévention en fonction des travaux à réaliser, à savoir des travaux en hauteur, des activités de levage, sans oublier des tâches effectuées à partir de barges ainsi que des travaux d’excavation et de bétonnage, rappelle Jessy Jourdain, directeur SST pour Signature sur le Saint-Laurent (SSL). En gros, notre approche reposait sur une analyse des tâches et l’identification des mesures pour contrôler les risques. Chaque matin, les superviseurs réunissaient leurs équipes sur le quai de transport et, ensemble, ils passaient en revue les activités de la journée et les risques potentiels qui y étaient associés. »
Quant au plan de sauvetage, il tenait compte des conditions du site, en particulier de la force du courant. « Si un homme tombe à l’eau, il risque d’être emporté, ce qui complique les opérations de sauvetage. De plus, la distance entre les deux rives, qui joue entre 2 et 2,5 kilomètres, représente un défi supplémentaire. On a donc développé une section complète pour les travaux maritimes, qui prévoyait la formation des travailleurs. Comme la plupart n’étaient pas familiers avec ce type de travaux, on a mis au point une formation de huit heures pour les sensibiliser aux dangers et les former sur les procédures et les équipements d’urgence. »
En plus du courant, un autre facteur de dangerosité devait être pris en considération, à savoir la fonte des glaces qui, à chaque printemps, nécessitait des procédures particulières afin de diminuer les risques. « En amont, un surveillant observait le comportement des glaces et communiquait avec le contremaitre, pour revoir le déploiement des barges en eau. Pendant une période donnée, un secteur du fleuve pouvait être interdit de tous travaux, le temps que les glaces ne présentent plus un risque. Il faut savoir qu'un morceau peut mesurer entre 60 par 80 pieds », décrit Martin Dussault, surintendant des travaux maritimes pour Signature sur le Saint-Laurent.
Avec quelque 1 600 travailleurs en période de pointe, l’heure n’était pas à l’improvisation. C’est pourquoi une équipe de sauvetage nautique, comprenant douze sauveteurs répartis en quatre équipes pour assurer une couverture complète, a patrouillé le site sans relâche pendant toute la durée des travaux. La gestion de la prévention a été telle qu’aucun décès n’a été rapporté tout au long du chantier, qui totalise près de 8,5 millions d’heures travaillées. Sans compter un taux de fréquence de 2,12, soit quatre fois moins que la moyenne provinciale, qui se situait à 8,78 en 2015.
Chantiers à risque élevé
Bien entendu, l'exemple du chantier du nouveau pont Champlain est un incontournable lorsque l'on parle de sécurité nautique de par sa proximité avec la plus importante voie navigable commerciale du Canada, le fleuve Saint-Laurent. Il faut cependant savoir que le Code de sécurité pour les travaux de construction (CSTC) définit des travaux à proximité de l’eau par des activités effectuées au-dessus ou à moins de deux mètres (m) d’un plan d’eau ou d’un cours d’eau dont la profondeur est de plus de 1,2 m et permet l’utilisation d’une embarcation, ou dont l’eau s’écoule à plus de 0,51 m par seconde et peut entrainer une personne. Un chantier à proximité d'une simple rivière peut alors entrainer l'application du CSTC.
« Cependant, si un bris d’aqueduc survient dans une municipalité et que le niveau d’eau atteint trois ou quatre pouces, on ne parle pas de travaux à proximité de l’eau, même si le courant est fort. Si les travaux entrent dans la description du Code, alors il faut appliquer les mesures prévues par le Code », explique Westley Grenon, formateur au SIFA, une entreprise qui offre des services d’intervention et de formation en sauvetage nautique.
Le CSTC considère en effet les travaux près de l’eau comme des chantiers à risque élevé et, de ce fait, oblige le maitre d’oeuvre à intégrer à son programme de prévention une série de mesures spécifiques. À commencer par une description du plan ou du cours d’eau. Chaque plan d’eau, chaque cours d’eau possède des caractéristiques qui lui sont propres et celles-ci, comme la température de l’eau, la force des vagues ou la présence de glace, peuvent fluctuer en fonction des conditions climatiques et avoir une incidence sur la survie d’un travailleur en cas de chute à l’eau.
Si le travailleur porte les équipements de protection individuelle (ÉPI) prescrits par le Code, à savoir le gilet de sauvetage ou le vêtement de flottaison individuel, il y a peu de chances qu’il se noie. Il en ira autrement pour ce qui est du risque d’hypothermie. « En été, ça ne pose pas vraiment problème, on prend le gars et on le ramène, mentionne Alexandre Lepage, directeur général de Techmedic, une firme qui se spécialise entre autres dans les opérations de sauvetage nautique. En hiver, c’est autre chose, le délai d’intervention n’est que d’une à une minute et demie. »
En effet, lorsque le corps humain est plongé en eau froide, la fréquence respiratoire augmente automatiquement. Si le corps est immergé, l’individu inspirera forcément de l’eau et risquera de se noyer. Sinon, au bout de 10 à 30 minutes, les membres commenceront à s’engourdir et l’individu aura de la difficulté à attraper une ligne de sauvetage ou à se tirer de l’eau de lui-même. Après 30 à 60 minutes, l’hypothermie entrainera une perte de conscience qui pourrait s’avérer fatale.
Toujours dans l’optique de se conformer au Code, le maitre d’oeuvre devra en outre fournir une description des travaux à effectuer, en indiquant notamment leur nature, le lieu de travail et le nombre de travailleurs affectés à leur réalisation, en plus de préciser les dimensions et la capacité des plateformes, barges et autres embarcations qu’il compte utiliser. Il devra en outre établir un plan de transport adapté aux travaux et aux caractéristiques du plan ou du cours d’eau.
« Pour le transport comme pour le sauvetage, les bateaux doivent respecter les exigences de Transports Canada, signale Wesley Grenon. Un zodiac de 14 pieds peut très bien convenir à des activités de plaisance, mais ne pas être conforme pour un usage commercial. » Pour qu’une embarcation soit accréditée, elle doit en effet satisfaire à certaines conditions en matière d’équipement de sécurité et de sauvetage, notamment en ce qui concerne les gilets de sauvetage et les lignes d’attrape flottantes, mais aussi les pagaies, les ancrages ou encore les dispositifs de signalisation.
Un plan détaillé
Enfin, le maitre d’oeuvre devra prévoir un plan de sauvetage précisant, entre autres, les procédures à appliquer au cas où un travailleur tomberait à l’eau ou qu’un naufrage survenait. « Lorsqu’un accident de ce genre se produit, le facteur humain est en cause dans 95 pour cent des cas, souligne Alexandre Lepage. On l’a constaté une fois de plus en 2014 à l’estacade du pont Champlain, lorsqu’un travailleur s’est noyé à la suite du renversement de la plateforme sur laquelle il se trouvait sans son harnais de sécurité. »
Bien qu’il ne puisse remédier à l’erreur humaine, le plan de sauvetage, lorsqu’il est bien conçu, devrait contenir les directives nécessaires pour coordonner toutes les interventions en cas d’accident. « Le plan de sauvetage va déterminer de quelle façon chacun va intervenir, mentionne-t-il. Si un travailleur tombe à l’eau alors qu’il exécute des travaux sur rive, il indiquera par exemple le moyen – radio, balise, avertisseur à air comprimé – à utiliser pour signaler l’incident. Pour sa part, le plan d’intervention précise plus en détails les actions qui relèvent de l’équipe de secours, comme le poste de ralliement, les délais d’intervention et les équipements de secours à utiliser. »
- Le nom de chaque responsable des opérations de sauvetage;
- Le nom de chaque responsable de l’entretien ou de la vérification des équipements de sauvetage;
- Les procédures de sauvetage en cas de chute à l’eau d’un travailleur, de naufrage, d’incendie ou d’autre accident; et les instructions en ces matières;
- Le nom de chaque intervenant en sauvetage et de chaque secouriste;
- Le code d’appel d’urgence pour déclencher les opérations de sauvetage;
- L’emplacement des équipements de sauvetage;
- L’emplacement des postes de premiers secours et de premiers soins;
- Le type et le nombre d’embarcations destinées au sauvetage.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Santé et sécurité 2019. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
Ce sujet pique votre curiosité ? Lisez tous les articles du dossier SUPPLÉMENT THÉMATIQUE – SANTÉ ET SÉCURITÉ 2019 :