La préfabrication promet de construire plus vite et plus efficacement.
L’heure n’est plus à se questionner sur la pertinence de la construction hors site, il est plutôt temps d’y faire face. Et d’autant plus rapidement que les kits étrangers commencent à faire leur place sur le marché québécois du bâtiment. Pour ne pas rester sur la touche, l’industrie d’ici n’a pas d’autre choix que d’évoluer pour répondre à un marché toujours plus complexe. Un marché qui a pour bases la rapidité, la rigueur d’exécution, la maitrise de nouvelles technologies et le travail collaboratif.
C’est du moins ce qu’avance Ivanka Iordanova, professeure au Département du génie de la construction de l’ÉTS, qui constate que l’industrie de la construction traverse présentement une phase de transformation profonde, qui remet en question non seulement ses façons de faire, mais aussi ses modèles d’affaires. Et qui exige de ses artisans de s’ouvrir au changement.
Une transformation naissante
« C’est une tendance qui commence à apparaitre et qui est surtout dictée par le besoin, commente-t-elle. Aujourd’hui, les projets doivent être réalisés rapidement, on commence les travaux même si les plans et devis ne sont pas complétés. Le temps est devenu un enjeu important. Il faut aussi que les travaux soient bien exécutés, mais ils sont toujours plus complexes. D’un autre côté, on a le manque de main-d’oeuvre, et aussi la COVID et ses mesures sanitaires contraignantes. »
Si Ivanka Iordanova ignore quand cette transformation, largement entamée ailleurs dans le monde, touchera le Québec, elle estime qu’il est grand temps de s’y préparer. Car, à mesure que la concurrence étrangère gagnera du terrain sous nos latitudes, elle imposera aux entrepreneurs d’ici un rythme insoutenable. Pour faire face à cette nouvelle réalité, ils devraient dès aujourd’hui s’approprier les compétences, les connaissances et les technologies nécessaires.
Et faire une plus grande place au travail collaboratif. La construction hors site, qu’il s’agisse d’éléments, de panneaux ou de modules préfabriqués, nécessite en effet de penser en termes de conception intégrée. Comme chaque détail doit être planifié à l’avance, il est donc préférable d’impliquer, dès le départ, tous les partenaires. Y compris le fabricant, pour la prise en compte de certaines modalités propres à la fabrication en usine.
Une voie d’avenir
Selon la professeure, il faut aujourd’hui voir la construction comme un système de production. Un fondement qui bouscule la logique de la construction traditionnelle, mais qui s’impose comme une voie d’avenir. En témoigne Pomerleau, qui a construit, en un temps record, des salles autonomes pour l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, dans une région durement touchée par la pandémie.
« Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal devait augmenter rapidement sa capacité d’hébergement de 96 lits, relate François Tremblay, vice-président Construction chez Pomerleau. On avait plusieurs options, mais l’échéancier très serré et l’uniformité des chambres à construire nous ont rapidement amenés vers la solution modulaire. Le projet a été livré en cinq mois, soit le quart du temps nécessaire à une construction de type conventionnelle. »
Une prouesse impossible n’eût été la mobilisation de tous les partenaires – maitre d’ouvrage, maitre d’oeuvre, professionnels et fabricants. Comme le rappelle François Tremblay, au Québec, le modulaire a fait jusqu’ici sa niche dans le marché résidentiel. On le voit très peu dans le bâtiment commercial et encore moins dans le secteur hospitalier. Le concept nécessitait donc du fabricant, le Groupe RCM, qu’il adapte son module type aux besoins du projet.
« Mais il fallait aussi adapter la conception à la réalité de l’usine et la penser en termes de préfabrication plutôt que de construction conventionnelle, ajoute François Tremblay. On devait également accompagner le fabricant sur certains aspects propres au domaine hospitalier. Pour les gaz médicaux, on l’a mis en relation avec un sous-traitant spécialisé. En construction hors site, l’entrepreneur général joue davantage un rôle d’intégrateur que de constructeur. »
Des gains appréciables
Il ajoute que les gains de temps ne se cumulent pas seulement à l’usine, mais aussi au chantier. La modularité s’accompagne en effet d’une plus grande rapidité d’exécution, puisque deux processus de construction s’exécutent en parallèle. Pendant que les modules sont construits en usine, l’entrepreneur jette les bases des fondations qui les accueilleront une fois à destination.
Les avantages de la préfabrication ne se limitent pas à des gains de temps appréciables. Ils incluent en outre une qualité d’exécution exemplaire. D’abord parce que le modèle de production s’apparente à celui de n’importe quelle chaîne de montage, avec des stations où sont assemblés les différents composants, ce qui facilite les contrôles de qualité. Ensuite parce que tous les assemblages sont faits en environnement contrôlé, à l’abri des intempéries.
La durabilité en tête
On ne peut cependant penser modulaire sans penser durabilité. Et pour être durables, ces systèmes constructifs doivent être conçus pour faciliter la séparation des composants en vue de leur recyclage ou de leur réutilisation. « À l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, les modules de l’unité d’urgence temporaire sont faits d’une structure d’acier qui s’insère dans un cadre structural très rigide, illustre Ivanka Iordanova. Si on a besoin des modules ailleurs, il suffit de les déplacer. »
Ce principe, le Centre de services scolaire Marguerite- Bourgeois (CSSMB) l’a appliqué dans son concept d’écoles nomades, des établissements scolaires mobiles et autonomes qui seront déployés sur son territoire dès l’an prochain pour accueillir des élèves pendant que leur école sera rajeunie. Les deux écoles de 14 classes chacune offriront un environnement semblable à celui d’un établissement traditionnel, comprenant une zone administrative et une salle multifonction avec, en prime, une touche architecturale ludique.
Ces modules préfabriqués pourront adopter différentes géométries – en H ou en L – et, surtout, pourront être déplacés et relocalisés en deux mois. « Cette solution offre la flexibilité nécessaire pour accélérer la mise à niveau de nos établissements, commente Marc Prescott, directeur des Ressources matérielles à la CSSMB. Au lieu de progresser seulement en été, les travaux pourront être réalisés en une seule phase. »
Il n’empêche, le Québec accuse un retard certain en matière de construction hors site. Pour Ivanka Iordanova, ce retard s’explique à la fois par un manque de besoins et par un manque de volonté politique. Elle en donne pour exemple Singapour, où le tissu urbain dense impose de construire rapidement, sans faire de bruit ni de poussière. Et où la cité-État figure parmi les premières nations à offrir un incitatif financier pour soutenir cette transition.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Bâtiment 2020. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
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