Expression plutôt à la mode ces derniers temps, l’économie circulaire gagne lentement mais sûrement le secteur de la construction au Québec. Même si les bienfaits qu’elle comporte pour la planète ne sont plus à prouver, il n’en demeure pas moins que cette pratique peut encore faire peur aux entrepreneurs qui souhaiteraient s’y aventurer. Petit guide pour mieux l’apprivoiser.
Apparue il y a une dizaine d’années seulement, l’économie circulaire a d’abord jailli en Europe. La tendance s’est ensuite profilée en Amérique du Nord, notamment au Québec quelques années plus tard. Certains individus et certaines entreprises l’intégraient auparavant, mais c’est depuis peu que le concept s’organise. « Au Québec, l’économie circulaire a vraiment émergé autour de 2014, entre autres avec la création de l’Institut de l’environnement, du développement durable et de l’économie circulaire (EDDEC) qui y était consacrée. En construction, il y a des initiatives qui existent depuis longtemps, particulièrement aux États-Unis, avec le réemploi et la déconstruction.
« Mais récemment, ça se structure », explique Hortense Montoux, chargée de projet de l’Écosystème de laboratoires d’accélération en économie circulaire (ÉLEC) du secteur de la construction au Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) de l’École de technologie supérieure (ÉTS). En effet, on remarque que les différentes stratégies d’économie circulaire commencent à s’imbriquer les unes dans les autres et que plusieurs acteurs institutionnels s’en saisissent. Le gouvernement du Québec est d’ailleurs en train d’élaborer une feuille de route. « Beaucoup de choses se passent et ça touche aussi le secteur de la construction, qui embarque depuis quelques années », ajoute la chargée de projet de l’ÉLEC.
Connaitre puis intégrer
L’économie circulaire influe sur la manière d’aborder un projet dès le départ. Elle demande de se questionner sur la fin de vie des matériaux et du bâtiment, d’envisager plusieurs vies pour ce dernier, et ce, dès qu’on le conçoit. « Si on veut faire de l’économie circulaire, il faut savoir anticiper », souligne Hortense Montoux. L’économie circulaire exige aussi de travailler moins en silo et plus en concertation.
« C’est d’ailleurs ce qu’on essaie de faire dans le cadre de l’ÉLEC du secteur de la construction, il faut une méthode de travail plus intégrée entre les différents maillons de la chaine de valeur justement afin de pouvoir avoir cette vision globale pour anticiper davantage, mobiliser dès le début les gens amenés à intervenir sur la chaine. »
Si elles peuvent s’appliquer à toutes les échelles, les stratégies mobilisées pour intégrer l’économie circulaire à ses pratiques sont variables en fonction du projet. On ne s’y prendra pas de la même manière si on s’attaque à une rénovation résidentielle, à une petite construction ou à un chantier colossal. Mais chaque projet, petit ou grand, comporte ses avantages lorsque l’on parle d’économie circulaire. « Pour un petit chantier, ce sera plus facile de se fournir en matériaux issus du réemploi. Par contre, dans un gros projet, on a plus de latitude pour concevoir en vue de l’adaptabilité ou de la déconstruction parce qu’il y a plus de budget, de temps, d’intervenants », fait remarquer Hortense Montoux. Une chose est sûre, tout projet est une occasion pour l’entrepreneur de se questionner et d’essayer de faire autrement.
Elle recommande de commencer modestement et de gagner en ambition au fur et à mesure. « On peut entreprendre une démarche plus simple au début et selon là où on se place dans la vie du bâtiment et en tant que professionnel. » Par exemple, les architectes travaillent davantage en amont, et les gestionnaires de chantiers, en aval. L’entrepreneur peut aussi essayer d’utiliser plus de matériaux « recysourcés », c’est-à-dire issus du recyclage, ou prendre une entente avec un fournisseur pour qu’il gère les chutes de matériaux neufs sur un autre chantier. « Commencer avec des actions relativement ponctuelles sur la chaine de valeur puis, ensuite, aller vers des stratégies plus ambitieuses, plus transversales ou plus en amont dans la chaine », suggère aussi Hortense Montoux.
Plus tard viendront des éléments plus structurants avec des questionnement tels que : Avons-nous besoin d’un bâtiment neuf ou peut-on réutiliser le bâtiment existant? Comment pourrait-on concevoir des bâtiments adaptables dans le temps, dans l’espace? Comment mettre en place des opérations de déconstruction plutôt que de démolition? « C’est ça qui est intéressant avec l’économie circulaire, mentionne la représentante de l’ÉLEC. On peut entrer par plein de portes différentes puis naviguer dans les stratégies. »
Avoir l’économie circulaire dans son ADN
GI Quo Vadis, une entreprise de gestion immobilière fondée en 1993, se spécialise dans le repositionnement d’anciens édifices classés Patrimoine. « Il y a une grosse tendance dans l’industrie de la construction de ne pas valoriser les anciens édifices et de les raser. Se créent alors des rebus de construction puis de nouveaux édifices sont construits sur les mêmes terrains. Nous, on souhaite valoriser les édifices qui sont réutilisables », précise Natalie Voland, présidente de GI Quo Vadis. Sa compagnie a fait office de précurseur en matière d’économie circulaire.
Voilà plus de douze ans que le triage des rebus de matériaux de construction se fait. Lorsqu’elle procède à des démolitions, elle sauvegarde les colombages en bois ou en métal, les portes, le matériel d’insonorisation présent dans les murs, etc. Elle a également été la première entreprise à imposer le recyclage dans ses édifices, il y a une quinzaine d’années. Comme la Ville de Montréal n’avait pas encore implanté de telles pratiques dans les édifices multilocataires de bureaux, l’entreprise déboursait à l’époque le service de sa poche.
Comme le monde évolue, l’entreprise doit fréquemment mettre à jour ses pratiques. Sont apparus plus tard le compostage ou encore le tri de la styromousse et des déchets électroniques, par exemple. De plus, GI Quo Vadis impose certaines clauses dans les baux qu’elle signe avec ses locataires, les encourageant à suivre la tendance de l’économie circulaire à l’intérieur même de leurs entreprises respectives et les empêchant, par exemple, de détruire certaines structures dans des locaux. Pour arriver à ses fins écologiques, la compagnie de gestion immobilière engage des partenariats avec notamment le GRAME, qui se spécialise en conseils environnementaux, ou encore avec Vivre en Ville ou BIXI.
Natalie Voland doit bien entendu faire face aux défis que comporte l’économie circulaire, telle la gestion. « C’est beaucoup plus facile de raser et de construire que de réutiliser. Ça demande de penser un peu plus et ce n’est pas tout le monde qui le veut », mentionne-t-elle. Hortense Montoux abonde dans le même sens : « C’est quand même un défi d’arriver à faire plus de concertation, d’anticipation dans les fonctionnements, et il y a aussi encore des obstacles techniques ou réglementaires. » Néanmoins, pour ces deux professionnelles, l’économie circulaire est la porte de salut. « On a vu, avec la pandémie, que l’approvisionnement est un enjeu. Donc, des chaines plus courtes génèrent moins de risques. Et certaines pratiques comme la réduction à la source permettent de consommer moins de ressources, donc de faire des économies », soutient Hortense Montoux. Du côté de GI Quo Vadis, on constate aussi l’avantage économique, mais également celui du storytelling : « Les locataires veulent ce type d’histoires », note Natalie Voland.
Plusieurs ressources existent pour soutenir les entrepreneurs dans leur désir d’entrer dans l’économie circulaire et, selon Hortense Montoux, elles continueront d’apparaitre. La Fédération des chambres de commerce du Québec complète actuellement une tournée régionale afin de présenter l’économie circulaire et ses stratégies. Il y a également le Fonds Écoleader et le réseau Synergie Québec qui peuvent être de bons accompagnateurs. « On a au Québec de belles initiatives qui commencent à émerger, c’est inspirant », termine-t-elle, très optimiste face à l’avenir de l’économie circulaire en construction.
Gérée par B Lab, une association fondée aux États-Unis, B Corp est une certification de triple mandat – le profit, la planète et les personnes – utilisant le concept ESG : environnement, social et gouvernance. Si la certification LEED se concentre entre autres sur l’énergie, une certification B Corp s’axe sur un environnement sain, que ce soit celui des employés ou de la planète. Elle fonctionne avec un système de pointage. « Il y a une opportunité de 200 points et vous devez en obtenir 80 pour passer », indique Natalie Voland. Mais ne reste pas B Corp qui veut ! Il faut aux trois ans repasser les tests, exécutés par un audit externe, pour se prévaloir d’une nouvelle certification.
Cet article est tiré du Supplément thématique – Projets 2022. Pour un accès privilégié à l’ensemble des contenus et avant-projets publiés par Constructo, abonnez-vous !
Ce sujet pique votre curiosité ? Lisez tous les articles du dossier PROJETS 2022 :
- Près d’un milliard investi dans le parc Jean-Drapeau
- Perfectionner ses projets par la formation continue
- Comment réconcilier les entrepreneurs en construction avec les appels d’offres publics
- Adoption du BIM en construction : les entrepreneurs ne doivent plus attendre
- Assurer une plus grande transparence par la gestion du risque
- Préfabrication, ou comment optimiser vos projets de construction
- Retards de paiement en construction: une loi provinciale exigée
- Prévisions de la CCQ : des perspectives optimistes pour 2022
- L'importance de mettre en place une démarche d’acceptabilité sociale dans vos projets