Recherche opérationnelle : quand la théorie rencontre la pratique

6 juillet 2020
Par Marie Gagnon

Les grands chantiers d’infrastructure disposent d’un outil décisionnel à leur mesure : la recherche opérationnelle.

Au confluent de l’informatique, des mathématiques appliquées, du génie industriel et des sciences de la gestion, la recherche opérationnelle facilite l’optimisation de systèmes complexes en fournissant des bases rationnelles à la prise de décision. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, on lui trouve une foule d’applications, allant de la gestion des soins de santé à la conception de systèmes de communication, en passant par la planification des réseaux de transport. Au chantier, elle facilite la planification des livraisons, la gestion des stocks ou, encore, l’ordonnancement des travaux.

 

Méconnue du commun des mortels, la recherche opérationnelle ne date pourtant pas d’hier. Bien au contraire, elle plonge ses racines à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’État-major anglais confie en 1940 à Patrick Blackett – Nobel de physique en 1948 – la direction de la première équipe de recherche opérationnelle pour résoudre certains problèmes, comme l’implantation optimale de radars de surveillance ou la gestion de convois d’approvisionnement. D’où son nom d’ailleurs, puisque initialement liée aux opérations militaires.

 

Optimiser les ressources

Aujourd’hui, ses champs d’application débordent largement le seul cadre militaire. Elle investit désormais tous les domaines de la gestion, auxquels elle propose des modèles conceptuels permettant d’analyser des situations complexes afin de prendre des décisions éclairées. « La discipline s’est développée il y a une soixantaine d’années, avec l’apparition des premiers ordinateurs, relate Bernard Gendron, professeur au Département d’informatique et derecherche opérationnelle (DIRO) de l’Université de Montréal.

 

Bernard Gendron, professeur au Département d'informatique et de recherche opérationnelle (DIRO) de l'Université de Montréal. Photo :  Université de Montréal

 

« Elle constitue une façon d’aborder un problème à l’aide d’outils mathématiques et informatiques, continue-t-il. On peut ainsi traiter des problèmes de gestion, de production, de transport, de logistique. C’est une discipline très polyvalente, qui permet d’allouer les ressources de manière optimale lorsque les options sont trop nombreuses pour être évaluées à la main ou qu’elles contiennent trop d’incertitudes. »

 

Au chantier, la recherche opérationnelle prendra ainsi en compte les différents paramètres et contraintes qui peuvent affecter le déroulement des activités, comme le cout des matériaux, la chaine d’approvisionnement ou la disponibilité des ressources humaines. Autant de facteurs d’incertitude qui peuvent influencer l’ordre d’exécution des tâches et avoir une influence sur les délais de réalisation.

 

Lever l’incertitude

Pour réduire l’incertitude pouvant affecter l’échéancier, on procède donc à des calculs de projection en lien avec l’évolution des systèmes dans le temps. C’est au moyen de ces calculs que sont élaborés les modèles mathématiques qui aiguilleront la prise de décision. Pour ce faire, on peut tantôt utiliser la valeur moyenne ou un intervalle de valeurs, en tenant compte, par exemple, de la période de l’année et des conditions météorologiques.

 

« Si on utilise la valeur moyenne, on n’obtiendra pas de bons résultats, signale Bernard Gendron. Il est préférable de se laisser un peu de marge mais pas trop, car il faut optimiser. » Il ajoute qu’il existe bien quelques outils conçus expressément pour l’industrie de la construction, mais qu’ils sont peu utilisés. On en retrouve davantage dans les domaines du transport, de la santé, de la finance et des télécommunications.

 

Un exemple ? Pour optimiser la construction d’une nouvelle ligne de métro, il faut entre autres déterminer les endroits les plus propices pour aménager les stations. Pour ce faire, il faut à la fois tenir compte des besoins des usagers, mais aussi de ceux des gestionnaires, dont les intérêts sont parfois divergents. Les données convergentes sont ensuite compilées pour établir des modèles mathématiques à plusieurs variables qui s’influencent mutuellement.

 

Soutenir la décision

La recherche opérationnelle s’est d’ailleurs beaucoup développée au fil des ans, indique celui qui est également chercheur au Centre interuniversitaire de recherchesur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport(CIRRELT). De discipline académique au cours des années 1970, elle s’est par la suite répandue dans l’industrie, notamment auprès de grandes sociétés dans le domaine du transport dont certaines, comme l’entreprise montréalaise GIRO, spécialisée dans le développement d’outils logiciels pour le transport public, emploient des spécialistes en la matière.

 

« Depuis une dizaine d’années, l’intelligence artificielle connait un boom important et génère une industrie très dynamique, observe Bernard Gendron. Et elle fait appel à des spécialistes de la recherche opérationnelle. Grâce à l’apprentissage automatique, qui se fonde à la fois sur la science de la statistique et l’optimisation, on peut aller encore plus loin dans les prévisions et obtenir des caractérisations plus précises de l’incertitude. »

 

Mais tout cela reste très théorique. Ce qu’il faut retenir de la recherche opérationnelle, c’est que lorsqu’il devient trop compliqué de gérer les ressources, leur modélisation peut aider à faire de meilleurs choix, en prenant en compte toutes les options possibles. Mais les modèles sont ce qu’ils sont : des modèles. En aucun cas ils ne peuvent remplacer les décideurs. Au mieux, ils donnent des options pour soutenir la prise de décision.

 

DES RESSOURCES OPTIMALES
Depuis 2017, le centre IVADO Labs, dont la mission est de faciliter le transfert technologique, vers l’industrie, des applications en intelligence artificielle, offre aux entreprises de tous horizons une expertise unique en apprentissage automatique et en optimisation. De leur côté, les chercheurs du DIRO et du CIRRELT offrent leur collaboration à des entreprises désireuses de mettre au point des outils d’optimisation adaptés à leur réalité. Le maintien des outils logiciels développés devra toutefois être confié à des entreprises dérivées dont c’est la spécialité.