4 juin 2021
Par Elizabeth Pouliot

Presque bon dernier en termes de modernisation il y a quelques années à peine, le secteur de la construction emboite maintenant le pas à la technologie. Que ce soit sur les chantiers ou dans les bureaux, les possibilités sont vastes et les gains possibles bien réels. Constat, mise en oeuvre, outils : comment la construction amorce-t-elle son virage numérique ?

Un sondage réalisé en avril dernier par le Groupe de recherche en intégration et développement durable en environnement bâti (GRIDD) et la Chaire de recherche industrielle sur l’intégration des technologies numériques en construction de l’École de technologie supérieure (ÉTS), et commandé par l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ), l’Association de la construction du Québec (ACQ) et le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI), révèle que 77 pour cent (%) des répondants se montrent déjà fortement intéressés par l’innovation et les nouvelles technologies.

 

D’ailleurs, 68 % d’entre eux ont implanté et/ou utilisé au moins une innovation dans le cadre de leurs projets. « On ne s’attendait pas à ce qu’il y ait autant d’entreprises qui souhaitent prendre le virage numérique », ajoute Guillaume Houle, responsable des affaires publiques pour l’ACQ. Il n’en demeure pas moins que nombre d’entrepreneurs constatent l’ampleur de la tâche et ne savent pas nécessairement comment s’y prendre ni par où commencer.

 

Boussole, diagnostic et plan d’action

Le manque d’expérience, les échéanciers serrés de leurs projets, le flou quant à leurs bénéfices ainsi que « le contexte contractuel défavorable à la mise en oeuvre des innovations » figurent comme les principaux facteurs dissuasifs chez les entrepreneurs sondés. De plus, 50 % d’entre eux pensent que les programmes gouvernementaux mis en place pour soutenir le virage numérique sont insuffisants.

 

Guillaume Houle, responsable des affaires publiques pour l’ACQ. Crédit : Photographes commercial

 

« Ça représente un investissement à court terme, bien sûr. Cela étant dit, les bénéfices à long terme peuvent être très alléchants pour des entreprises de construction. Elles doivent le voir comme ça. On parle d’une augmentation de bénéfices qui peut atteindre de 12 % à 15 % en termes de productivité. Ce n’est pas négligeable non plus », souligne Guillaume Houle. L’accroissement de la rapidité et, donc, de la rentabilité participe aussi à l’attraction envers les nouvelles technologies.

 

Pour en faciliter l’accès, l’ACQ, en partenariat avec l’ÉTS, a mis à disposition de ses utilisateurs la Boussole numérique, un petit outil de départ. En six questions très simples et à choix de réponses, les entrepreneurs curieux peuvent positionner leur entreprise en ce qui a trait à son cheminement numérique. Ce premier pas mène ensuite les intéressés à l’Initiative québécoise pour la construction 4.0 (IQC 4.0). « Entamée en 2018 à la suite du plan d’action en économie numérique de l’ancien gouvernement, elle visait notamment la croissance de la productivité et de la performance de tous les secteurs économiques du Québec par le numérique », explique Érik Poirier, professeur au Département de génie de la construction à l’ÉTS et aussi vice-président du Groupe BIM du Québec. Depuis longtemps, il est connu que l’industrie de la construction est inefficace, fragmentée, qu’elle enregistre des pertes de productivité sur les chantiers à cause du manque de coordination en amont et de la documentation déficiente ou manquante.

 

« Une manière de pallier ces problèmes de performance de l’industrie, c’est l’intégration des sources d’information comme le Building Information Modeling (BIM) et la transition numérique en général », soutient Érik Poirier. En construction comme ailleurs, une transition s’amorce donc vers des approches plus intégrées, plus performantes, et le tout doit se baser sur une source de données fiables.

 

Érik Poirier, professeur au Département de génie de la construction à l’ÉTS et vice-président du Groupe BIM du Québec. Crédit : Yanick L'Espérance

 

Une telle chose devient possible quand « tous les acteurs de l’industrie collaborent dans un écosystème numérique soutenu par le BIM de l’IQC 4.0 », indique le professeur. Il s’agit d’accompagner les entreprises, grosses ou petites, dans leur transformation numérique. « Il faut comprendre qu’en construction, c’est plus de 80 % des firmes qui comptent moins de cinq personnes. Elles ne sont pas toutes capables de dégager des ressources pour effectuer la transformation numérique. L’IQC vient les encadrer, les aider à regarder aux bonnes places, à se doter d’un plan de transformation qui est adéquat à leur réalité et qui tient compte de leur contexte. Ça commence par le diagnostic numérique », mentionne Érik Poirier. De plus, un crédit d’impôt, le C3i, est dorénavant accessible à l’industrie de la construction en soutien au virage numérique, que ce soit par l’acquisition de technologies, d’équipements ou de logiciels.

 

Robots, drones et exosquelettes

Même s’il lui reste bien du chemin à faire, le secteur de la construction compte déjà plusieurs innovations, sur ses chantiers comme dans ses bureaux. La construction hors site est bien implantée. De plus, des drones survolant les chantiers viennent prêter main-forte aux travailleurs, en pénurie à l’heure actuelle, dans la collecte de données. Les robots, dont certains peuvent faire de même, sont aussi utiles auprès des briqueteurs-maçons, pouvant soulever plus longtemps qu’eux de lourdes charges. Les exosquelettes aussi ont investi les chantiers, facilitant certaines tâches des travailleurs et prévenant, du même coup, les blessures. Car le virage numérique accroit non seulement la productivité, mais représente aussi un atout majeur en santé sécurité au travail. « Travailler dans le secteur de la construction peut être difficile physiquement et sur le long terme. Les technologies qui peuvent aider à réduire les blessures peuvent s’avérer très bénéfiques pour une entreprise. On garde nos employés plus longtemps et on les garde en santé », termine Guillaume Houle. Et du côté de l’administration, les logiciels de gestion de temps et de gestion des ressources humaines représentent aujourd’hui des incontournables. Présents dans la vaste majorité des entreprises en construction, ils améliorent les processus et la gestion des payes.

 

Au-delà des outils et des robots, qui n’en sont qu’à leurs balbutiements, ainsi que de la construction hors site et des programmes informatiques, c’est dans le BIM que réside vraiment l’avenir de la construction au Québec. Le gouvernement provincial a lancé le bal en visant l’application de cette pratique pour l’ensemble de ses constructions futures, mais les municipalités et les donneurs d’ouvrage privés pourraient aussi se mettre prochainement de la partie. Pas de doute, la transition numérique est un virage impossible à contourner, même en construction.

 

LES TRAVAILLEURS ET LA FEUILLE DE TEMPS NUMÉRIQUE

Comptabilisant à la lettre les heures travaillées et accélérant le processus de paiement, la feuille de temps numérique reste plutôt bien accueillie au sein des travailleurs de la construction. Néanmoins, un sondage commandé par la compagnie Mobile Punch suggère que le tiers des répondants aimeraient que leur employeur défraie une partie des couts reliés à l’usage de leur téléphone intelligent.

De plus, 20 % des personnes sondées voient l’utilisation de ces appareils au travail comme une forme d’intrusion dans la vie privée. Conscients de l’importance que représente la feuille de temps numérique pour les entreprises et en plein renouvellement de leurs conventions collectives, les travailleurs de la construction l’utilisent d’ailleurs actuellement comme outil de négociation.