Des gains d’énergie dans les bâtiments grâce à l'intelligence artificielle

4 novembre 2021
Par Elizabeth Pouliot

Parfois réfractaire aux changements, dit-on, l’industrie de la construction s’ouvre tranquillement aux divers outils technologiques. Amalgamant acquisition de données, algorithmes et intelligence artificielle, une nouvelle technologie permet de mesurer l’efficacité écoénergétique des bâtiments. Regard sur cette innovation et ses applications concrètes.

Chauffage, climatisation, humidité, ventilation, éclairage : les sources possibles de perte d’énergie sont nombreuses dans un bâtiment. Et plus il comporte de systèmes, plus il devient complexe de garder le contrôle et de cerner clairement les problèmes existants. De nos jours, une majorité de bâtiments monitorent leurs appareils et peuvent en assurer un certain suivi. Néanmoins, difficile de savoir comment la machinerie se comporte à toute heure du jour, de la nuit ou de la fin de semaine.

 

Et affecter des techniciens à cette tâche serait couteux et peu efficace. Voilà où les algorithmes peuvent venir en aide, parallèlement à la création de logiciels d’acquisition de données et de gestion de maintenance qui permettent, éventuellement, d’opérer les bâtiments plus efficacement.

 

Algorithmes et intelligence artificielle au service des bâtiments

Cédric Ropartz, ingénieur chez EnerZam, une firme spécialisée en efficacité énergétique et active dans la mise en service, la remise au point et l’opération de bâtiments, travaille en mécanique et en contrôle du bâtiment. « Les bâtiments ont beaucoup de données disponibles à travers différentes interfaces et sondes, notamment le système de contrôle et de mécanique.

 

Cédric Ropartz, ingénieur chez EnerZam. Crédit : Gracieuseté

 

L’idée est donc de faire l’acquisition de ces données, puis de les traiter. Ensuite, il s’agit de faire fonctionner des algorithmes d’intelligence artificielle sur ces données afin de faciliter l’opération des bâtiments », explique-t-il. Travaillant main dans la main avec l’Université Concordia et Fuzhan Nasiri, professeur associé au Département de génie civil, environnemental et du bâtiment, EnerZam a d’abord développé le module d’acquisition de données. « Ce sont des boites, de petits ordinateurs, qu’on installe chez notre client et qui seront en mesure, à travers différents protocoles de communication, d’aller lire toutes les sondes dans le bâtiment », précise Cédric Ropartz. Par exemple, aux dix minutes, une capture d’écran automatisée montre ces données, qui sont ensuite envoyées dans un nuage jusqu’aux serveurs de la firme. Cette transmission est rendue possible grâce à des câbles et un commutateur Ethernet branchés au même réseau informatique que le système de contrôle à analyser.

 

Des algorithmes intelligents sont ensuite mis à profit pour la prédiction de charge ou la détection d’anomalies. On peut ainsi optimiser l’opération des bâtiments et découvrir des opportunités d’amélioration. Par exemple, il est possible de prédire les charges de climatisation et de chauffage basées sur des algorithmes qui s’entrainent sur les données historiques du bâtiment et climatiques. Ces prédictions peuvent alors être utilisées pour faire du délestage de charge, de la gestion hors pointe ou de l’optimisation de performance.

 

Le cas de l’Institut de cardiologie de Montréal

L’Institut de cardiologie de Montréal (ICM) fait d’ailleurs appel à cette technologie afin de procéder à l’analyse des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation de l’hôpital ainsi qu’à la détection des éléments à améliorer.

 

Pour ce faire, il fallait d’abord bien comprendre comment les systèmes se comportaient, et ce, à différents moments. EnerZam a donc fourni à l’ICM les petits ordinateurs qui téléchargent l’ensemble des données des systèmes aux dix minutes, l’hôpital possédant déjà les sondes de température et d’humidité, les débitmètres, les lecteurs de courant d’ampérage, etc.

 

L’implantation s’est somme toute bien déroulée, malgré quelques petits pépins techniques au départ. « Mais c’est la suite qui sera intéressante », mentionne Charles Julien, ingénieur et conseiller en bâtiments pour l’ICM. « Je ne suis pas en mesure de dire pour l’instant si ça nous a aidés ou jusqu’où on s’est rendus avec ça. Ce sont l’analyse des données et les recommandations qui viendront par la suite qui nous le diront. »

 

Charles Julien, ingénieur et conseiller en bâtiments pour l’ICM. Crédit : Gracieuseté

 

En effet, l’étape suivante est cruciale dans le processus. Il ne suffit pas de récolter les données, dorénavant accessibles mais toujours brutes; il faut d’abord les traiter. « Elles seront filtrées, lavées, agglomérées d’une certaine façon pour nous permettre de les utiliser par la suite », explique Cédric Ropartz. « Mais déjà pour l’instant, d’avoir ces données, c’est un outil supplémentaire. C’est comme si vous construisez votre maison et que vous partez avec de bons outils et de bons plans. Connaitre comment les systèmes fonctionnent, c’est la base », poursuit Charles Julien, très satisfait de cette première étape.

 

Soucis d’économie

Même si elle n’en est qu’à ses balbutiements, la technologie permet déjà de générer des économies d’énergie chez le client, avance l’ingénieur. « Selon la mission, les objectifs de gains énergétiques seront différents. Dans le cas d’une remise au point comme avec l’ICM, on vise de 10 à 30 pour cent (%) d’économie d’énergie. On essaie d’optimiser ce qui est existant. Dans le cas d’un projet d’économie d’énergie, on va utiliser les données pour développer des investissements plus importants. Là on peut aller jusqu’à 50 à 60 % d’économie d’énergie », précise Cédric Ropartz. D’ailleurs, des programmes de subventions existent au Québec pour faciliter l’accès à ce type de projets, qui peuvent simplifier par la suite l’obtention de certifications parce qu’ils permettent de démontrer aisément certains objectifs à atteindre.

 

Aussi positive soit-elle, la technologie en question se bute parfois à certains problèmes. Son installation dans des réseaux informatiques mal organisés devient plus fastidieuse. Un autre, représentant un peu le revers de la médaille, est la quantité astronomique de données récoltées.

 

« La quantité d’informations est très volumineuse, donc ça peut devenir difficile à traiter », dénote Charles Julien. De plus, chaque bâtiment est presque unique : les conventions, le nom, la conception, les assurances diffèrent. « Installer un système et prétendre qu’on est capable de rapidement analyser et prendre le contrôle, c’est compliqué », avoue l’ingénieur.

 

« Aujourd’hui, l’interprétation de toutes ces données se fait par nos experts, nos ingénieurs, qui soumettent ensuite sous une version conventionnelle les résultats au client. Un jour, on souhaite que ce système parle directement avec le client. Ça va être tout le défi ! », lance Cédric Ropartz. Dans quelques années, croit-il, le bâtiment sera prêt pour les futurs algorithmes d’analyse, qui seront alors de plus en plus poussés pour permettre la prévision énergétique. Alors, vivement le futur !

 

DANS DU VIEUX OU DANS DU NEUF ?

À la fine pointe, la technologie en question peut néanmoins être installée dans tout bâtiment, neuf ou ancien, qui détient un système de contrôle doté de sondes et d’automates. La taille du bâtiment et son usage (industriel, commercial, résidentiel, etc.) importent peu dans l’équation. « Les bâtiments qui sont conçus aujourd’hui ont tous des systèmes de contrôle intelligents. Il sera de plus en plus facile d’y installer les technologies. Donc, même si on est capable de l’intégrer à un bâtiment existant, c’est encore plus facile de l’implanter dans un nouveau bâtiment », fait remarquer Cédric Ropartz.