Préfabrication, ou comment optimiser vos projets de construction

23 mars 2022
Par Isabelle Pronovost

Boudée pendant plusieurs décennies, la préfabrication est en voie de devenir une option incontournable en cette ère où la main-d’oeuvre se fait rare et les échéanciers de plus en plus serrés.

Le préfabriqué a longtemps eu mauvaise réputation. La qualité de ces constructions n’était pas toujours au rendez-vous et le design se révélait très carré, symétrique et, surtout, répétitif. L’image négative de la préfabrication était telle qu’on en a partout changé l’appellation : on utilise désormais industrialized building system en Asie, modular construction dans l’Ouest canadien et construction hors site au Québec.

 

« On parle de construction hors site lorsqu’on fabrique et préassemble certaines parties d’un bâtiment ailleurs qu’à l’endroit où ces parties seront érigées », explique Ivanka Iordanova, professeure au Département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure. Cela peut se faire dans une usine spécialisée dans la préfabrication, mais aussi dans un bâtiment temporaire édifié à côté du site de construction. Il pourrait aussi y avoir préfabrication sur le site lui-même, par exemple une section d’un futur édifice dans laquelle des ouvriers se consacreraient à la fabrication de cloisons pour tout l’immeuble.

 

Ivanka Iordanova, professeure au département de génie de la construction à l’École de technologie supérieure. Crédit : ÉTS

 

Il existe différents types de préfabrication. On utilise le terme préfabrication linéaire lorsqu’il s’agit de murs ou de planchers. La préfabrication peut aussi s’appliquer à de petits modules tels que des salles de bain, produites en série pour un hôpital par exemple, ou à de plus grosses sections de bâtiment qui s’emboitent les unes dans les autres; on parle alors de préfabrication modulaire ou volumétrique.

 

Diverses options

Au Québec, certains fournisseurs proposent des composantes préfabriquées depuis longtemps, notamment dans le domaine du béton : murs de fondation, colonnes, poutres ou tuyaux pour les infrastructures. Plusieurs autres offrent des panneaux préfabriqués pour l’enveloppe extérieure. Mais peu de fabricants se spécialisent dans la préfabrication de modules plus complexes, un secteur nettement plus développé ailleurs au Canada et dans le monde. Selon Vincent Melanson, gérant de projets – R&D et projets spéciaux chez Pomerleau, certaines usines accusent du retard, par exemple en ayant des chaines de montage manuelles ou en négligeant d’utiliser les outils du BIM. Il observe aussi des réticences à l’égard de la préfabrication du côté des syndicats, puisque le travail en usine n’est pas effectué par leurs membres.

 

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Plus d’un avantage

Pourtant, la construction hors site pourrait être un atout pour les ouvriers. « Le grand avantage pour les travailleurs, c’est qu’on peut leur offrir un environnement contrôlé à l’abri des intempéries et aussi un environnement beaucoup plus sécuritaire », croit Ivanka Iordanova. En effet, en éliminant le travail en hauteur sur des échafaudages, on réduit les risques d’accident. Un emploi en usine pourrait également permettre aux travailleurs de bénéficier d’un apprentissage plus soutenu, l’acquisition d’expérience s’avérant alors plus aisée que lorsqu’on passe d’un chantier et d’une équipe à l’autre.

 

Les bénéfices sont aussi environnementaux. En usine, les retailles peuvent être réutilisées, ou du moins recyclées, ce qui n’est pas le cas sur les chantiers. En outre, les coupes peuvent être plus précises, ce qui évite le gaspillage. Mais tout n’est pas parfait pour autant. Vincent Melanson donne l’exemple des modules qui doivent être emballés durant le transport pour les protéger de la pluie; ces emballages génèrent beaucoup de déchets.

 

Vincent Melanson, gérant de projets – R&D et projets spéciaux chez Pomerleau. Crédit : Pomerleau

 

Enfin, « le gros point fort de la préfabrication, c’est la réduction de l’échéancier », mentionne le gérant de projets chez Pomerleau. La fabrication hors site se déroulant en parallèle du chantier, des systèmes électromécaniques peuvent être assemblés en usine en même temps que sont coulées les fondations. En outre, la qualité est souvent égale ou supérieure à ce qui se fait en construction conventionnelle. On évite aussi de multiplier les interactions sur le chantier, surtout dans les espaces restreints, ce qui se serait avéré judicieux durant la pandémie, alors que les règles sanitaires exigeaient une distance de deux mètres entre les travailleurs.

 

Les défis sont toutefois nombreux. Tout d’abord, le recours à la préfabrication requiert une très bonne planification, car deux projets se déroulent en parallèle : les travaux au chantier par l’entrepreneur général et les travaux en usine par le fournisseur d’éléments préfabriqués. La planification doit aussi se faire dès l’étape du design, puisque les différentes parties devront s’imbriquer parfaitement et se transporter aisément. D’ailleurs, la livraison de gros modules peut s’avérer complexe, surtout si ces derniers dépassent la largeur autorisée par le code de la route. Enfin, les ouvriers doivent être prêts à installer les modules aussitôt qu’ils sont déchargés sur le chantier.

 

Certains facteurs pourraient favoriser le recours à la préfabrication dans les années à venir, notamment la rareté de la main-d’oeuvre qualifiée. Cette pénurie est d’autant plus problématique que les projets se multiplient et que les échéanciers sont de plus en plus courts. Pour élargir leur expertise en matière de préfabrication, les entrepreneurs devront faire preuve d’ouverture d’esprit et collaborer avec des experts, estiment les deux intervenants. Vincent Melanson suggère aux entrepreneurs de se montrer ambitieux, mais avec une dose de réalisme : « Le premier projet de préfabriqué ne doit pas être un tour de 40 étages; il faut commencer plus petit et acquérir de l’expérience. »

 

LE FUTUR DU PRÉFABRIQUÉ

Ivanka Iordanova pense que l’avenir de la préfabrication réside dans l’automatisation et la robotisation. Elle imagine un bras robotisé qui pourrait exécuter certaines tâches avec beaucoup de précision tandis que le travailleur, qui a une meilleure compréhension du contexte, s’occuperait de prendre les décisions. La professeure entrevoit aussi le recours aux objets connectés afin de savoir à tout moment où se trouve un élément préfabriqué, s’il a été livré au chantier ou même installé.

« On n’est pas en train d’inventer des technologies. Mais je pense que l’industrie de la construction a atteint un niveau de maturité qui lui permettrait d’adapter des technologies qui sont développées pour d’autres secteurs. Pourquoi pas ? »